appellent avec mépris Lucquois, gens laborieux, économes et durs, qui emportent chaque année le plus clair du revenu de la terre. Et pourtant cette terre est heureuse entre toutes ; elle a le soleil du midi qui la chauffe ; elle a de nombreux ruisseaux qui l’arrosent ; elle ne demande qu’à produire ; elle récompenserait largement les soins qu’on voudrait bien lui donner.
Mais ce n’est pas seulement la terre que le travail met en valeur, c’est l’homme lui-même. Le travail apprendrait au Corse à se déshabituer de ces vaines agitations auxquelles il occupe en ce moment son oisiveté, agitations sans but ni portée ; il lui apprendrait que, pour se faire une place en ce monde, il n’est pas besoin de s’enrôler dans une coterie, de lui beaucoup sacrifier, d’acheter à force d’empressements la protection des puissants ; le travail lui apprendrait à compter sur lui-même ; en lui donnant l’aisance, il lui donnerait l’indépendance, celle qui permet à l’homme de se dévouer pour la cause qu’il veut et dans la mesure où il veut. Des fruits de son travail il tiendrait à jouir tranquillement ; il comprendrait alors le bienfait de la loi protectrice de tous : il détesterait ces appels à la force individuelle, ces coups de violence, ces vengeances qui troublent la société ; il en estimerait à leur juste valeur les tristes héros, ces révoltés contre la société et la loi. Il faut donc avant tout. substituer, dans ces esprits, à l’idée fausse que le travail est dégradant, avilissant, l’idée que le travail honore, ennoblit. Or qui le peut, si ce n’est l’école, qui prend l’enfant jeune, encore ouvert à des impressions nouvelles ? Il faut que l’école corse apprenne à l’enfant du village corse à estimer, à aimer le travail,
peiner, en la voyant cheminer le long des routes lourdement charge, tandis que le mari était à cheval ou portant seulement son fusil et son parapluie, la Parisienne était indignée, révoltée ; elle eût volontiers apostrophé les hommes, barangué les femmes, enseigné à celles-ci la vraie doctrine : que ce n’était point à la femme de travailler pour l’homme, mais à l’homme de travailler pour la femme ; que ce n’était pas à la femme d’être la servante du mari, mais au mari de se faire le serviteur empressé de la femme, de lui assurer une existence facile et douce, de la choyer et de la parer. Qu’eût-elle dit, cette Parisienne, si, plus initiée à la vie du pays, elle eût entendu une femme corse jeter à sa voisine ces paroles enflammées, sa propre glorification, la condamnation de celle avec qui elle se querellait : « Mon homme, grâce à moi, peut aller avec les premiers du village, bien vêtu, bien repu, le sou dans sa poche : en peux-tu dire autant du tien ? »