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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1883.djvu/47

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ORGANISATION DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE EN TUNISIE

absolument pas exercé ; leur attention n’est aucunement tenue en éveil ; leur intelligence ne tire qu’un maigre profit du régime auquel elle est soumise.Il n’y a jamais entre le maître et les élèves le moindre échange d’idées ; aussi, lorsque les étudiants sortent de ces écoles, sont-ils incapables d’écrire, sans commettre les erreurs les plus grossières, dix lignes dans leur propre langue. J’ajouterai que le tâleb est autorisé à sévir de toutes les façons contre les élèves dont il a lieu de se plaindre et qu’il se sert souvent de sa baguette pour stimuler leur ardeur. Enfin, je ferai observer qu’à l’heure des leçons tous les élèves étudient à voix haute[1].

L’État n’exerce aucune surveillance sur les mekâteb, qui échappent entièrement à sa direction. Les familles elles-mêmes ne s’occupent jamais de la tenue de ces écoles, de leur matériel, toujours très modeste d’ailleurs, de leur installation. Toutes celles que j’ai visitées avaient pour local une salle de quelques mètres carrés seulement, avec cinq ou six nattes[2].

  1. Il n’est pas rare de rencontrer des indigènes qui savent par cœur, en dehors du Coran, qui est la base de toutes les études, un ou deux ouvrages de grammaire avec commentaires, un ouvrage de droit, différents traités de théodicée, etc., etc., mais qui ne sauraient rédiger une lettre d’un ordre d’idées simple.

    Voici quelques autres détails sur l’enseignement des écoles coraniques. Lorsqu’un élève est envoyé en classe, ses parents lui donnent une petite planchette, généralement en bois d’olivier, de noyer ou de chêne, sur laquelle le maître race les lettres de l’alphabet arabe, après l’avoir enduite d’une couche très légère de terre glaise appelée sensâl (régulièrement selzâl). Un moniteur fait répéter à l’élève ces lettres jusqu’à ce qu’il les possède bien ; puis il lui enseigne à les tracer, à les grouper, à les prononcer avec les voyelles, etc. Lorsque l’enfant commence à savoir lire, le maître lui écrit avec l’extrémité opposée de la plume, qui est toujours en roseau, les premiers versets du Coran ct l’élève les repasse à l’encre. Cette encre est faite avec de la laine grillée trempée d’eau, Quand l’enfant a acquis une certaine habitude, on l’exerce à écrire sous la dictée sa leçon du lendemain. Un jour par semaine le magister fait réciter à chacun de ses élèves les différents chapitres déjà appris afin qu’ils ne les oublient pas. Il y a certaine sourat (c’est le nom qu’on donne aux chapitres) qui sont l’occasion de petites fêtes scolaires. Lorsque l’élève arrive à ces sourat, il doit faire un cadeau au maître, et régaler ses condisciples d’un plat de couscous. Ce jour-là l’école est en vacances. L’enfant va montrer à ses différents parents et aux amis de la famille sa planchette enluminée pour la circonstance, et il reçoit de chacun d’eux quelque menue monnaie comme récompense ; enfin quand l’écolier est arrivé au dernier chapitre du Coran (c’est le deuxième dans l’ordre réel et le plus long), il fait à son maître un présent plus important, et la famille donne une fête qui doit avoir un certain éclat.

  2. Cette salle renferme quelques nattes étendues à terre, quelquefois dressées contre le mur à une hauteur de 60 centimètres environ. Le maître est habituellement assis sur un modeste tapis. Il n’est pas rare de le voir s’occuper à quelques petits travaux manuels (tricotage ou autres) pendant que les élèves étudient à haute voix leurs leçons.