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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1890.djvu/209

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LA LÉGISLATION SCOLAIRE ET L’ÉDUCATION DE L’ESPRIT PUBLIC

semble « propter libertatem libertatis perdere causas[1] », avoir conquis le mécanisme des institutions libres, grâce à son énergie, et manquer des moyens pour s’en bien servir, par la faute de son ignorance ! Que de fois n’a-t-on pas observé, dans les communautés locales de l’Angleterre, que presque tout ce qui doit se faire par l’énergie individuelle est bien fait ; que presque tout ce qui doit se faire par la raison collective est mal fait !

Il s’est présenté cependant des occasions remarquables où, même en Angleterre, l’intelligence nationale a subi d’une façon positive l’influence du gouvernement. La législation du libre échange — établie tout d’abord non pas en vertu d’une conviction nationale irrésistible, mais grâce à l’initiative d’un grand ministre et à l’activité d’un parti politique qui, bien que nombreux et intelligent, n’était qu’un parti — a fini par créer elle-même en sa faveur cette sympathie nationale qui lui avait manqué, et par faire l’éducation de l’opinion publique sur les questions d’économie politique, dans un sens que les meilleurs juges déclarent bon et à un degré qui n’a encore été atteint chez aucune autre nation. Mais les questions industrielles et commerciales touchent directement aux intérêts matériels d’une nation. Tous les gouvernements sont bien obligés de s’en occuper ; et ici, de plus, l’État anglais se sent sur un terrain qu’il juge solide et sûr. Mais quand il s’agit des intérêts moraux et spirituels d’une nation, les gouvernements sont moins impérieusement appelés à intervenir ; et ici, de plus, l’État anglais se trouve sur un terrain qu’il s’imagine être mouvant et peu sûr. Il s’occupe donc aussi peu que possible de ces questions ; il s’en occupe quelquefois comme s’il était l’organe de la clameur populaire qui crie un jour une chose et le lendemain une autre ; il ne s’en occupe presque jamais comme s’il était l’organe de la raison nationale. Il ne semble même pas savoir ou croire que dans ces matières il existe une raison nationale. Il traite toutes les opinions comme étant d’égale valeur, et semble croire que l’irrationnel, s’il parle aussi haut que le rationnel, doit peser autant que lui. Il ne semble pas croire que l’absurdité d’une opinion soit par elle-même une cause de faiblesse ; ni que, pour la combattre, la force d’une raison ingénieuse soit réellement une

  1. « Avoir perdu, par un souci jaloux de la liberté les raisons d’être libre. »