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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1890.djvu/215

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LA LÉGISLATION SCOLAIRE ET L’ÉDUCATION DE L’ESPRIT PUBLIC

de vue, elle demande à être grandement tempérée par l’éducation, mais en même temps elle est naturelle et rassurante. Dans ce langage imagé où il est passé maître, M. Michelet me disait en parlant de son peuple que c’était une nation de barbares, civilisée par la conscription ». L’influence civilisatrice de la conscription est peut-être sujette à discussion, mais ce qui ne peut se discuter, c’est que la masse chez le peuple français et chez le peuple anglais a gardé cette surabondance de vigueur native et barbare de l’homme primitif, que la science des livres pourra tempérer, mais qu’elle ne vaincra jamais.

Quant au deuxième danger, les préservatifs que possède l’Angleterre doivent être évidents pour tous. La nation la plus aristocratique de la terre, comme l’a appelée un de ses admirateurs les plus éloquents, possède naturellement la vertu aristocratique qui consiste à n’avoir pas l’admiration facile ; elle a vu tant de choses grandioses et splendides qu’elle n’est pas prête à se laisser éblouir à l’excès par une culture médiocre, même quand cette culture serait la sienne. Il semble, au premier abord, que la France démocratique n’ait pas de telles sauvegardes. Mais il ne faut pas oublier par quelle éducation de hiérarchies et de grandeurs le peuple français a passé. La Révolution est d’hier ; l’imagination du peuple français avait été façonnée longtemps auparavant ; pendant plus de mille ans la France a possédé la plus brillante aristocratie de l’Europe ; ses gens du peuple étaient les compatriotes des Montmorency, des Biron, des Rohan. Elle est la fille aînée de l’Église catholique romaine, Église magnifique même dans son déclin. À l’heure présente, quoique ses potentats féodaux aient disparu, que ses potentats ecclésiastiques soient dépouillés de leur splendeur, elle a une aristocratie qui répond aux exigences les plus nobles de l’esprit moderne, l’aristocratie du monde la plus choisie en son genre ; elle a l’Institut. La servilité qui a dégradé les sociétés savantes de quelques autres nations n’a point pénétré dans l’Institut français. Il représente la véritable aristocratie de l’intelligence de la France ; et, en commandant à bon droit le respect national, en tempérant avec sévérité, dans le domaine de l’intelligence, de la science, des arts et des lettres, ce contentement de soi naturel à une société démocratique, en rendant impossible chez la masse des Français ce sentiment