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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1911.djvu/523

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AUGUSTE ANGELLIER PROFESSEUR

des phrases qui s’assemblassent dans sa tête, c’était un déroulement de tableaux qui s’y faisait et qu’il était d’autant plus difficile de traduire en paroles qu’ils étaient enrichis de détails précis et rares, retenus de l’observation aiguë de son œil extrêmement fouilleur et exercé. Rien de moins idiomatique que sa langue : jamais de locutions proverbiales, aucune citation, nulle trace d’argot. Mais tout le temps une langue originale, créée spécialement pour le présent besoin, toujours concrète, où images vives, métaphores inattendues, hardies, se suivaient d’un mouvement continu et lent. Il arrivait qu’un étudiant nouveau laissait percer sur son visage son inintelligence de ce parler. « Vous ne me comprenez pas, n’est-ce pas ? » disait Angellier. Et il s’efforçait patiemment à une nouvelle traduction, plus accessible, mais toujours éminemment concrète.

Pour suppléer à l’expression, pour la compléter, il avait deux ressources : le dessin et le geste. Volontiers, au cours, il allait au tableau. Parfois c’était un raisonnement qu’il rendait clair par des sortes de figures géométriques, et je me rappelle le geste qu’il eut un jour pour marquer que les dissertations de certain élève étaient toutes en divisions et manquaient d’ampleur. Vos dissertations, disait-il sont toutes comme ça (fendant l’air du tranchant de la main de haut en bas, à coups légèrement espacés), mais jamais comme ça (répétant le geste horizontalement).

Aucun entraînement verbal dans son fait par conséquent. L’entraînement verbal, il ne cessait de le pourchasser. Il le dénonçait dans les dissertations. Il mettait en garde contre ses dangers dans l’explication d’un auteur. [1 montrait comment l’interposition prématurée d’une traduction, en apparence équivalente, entre l’original et l’intelligence du traducteur, risquait d’obscurcir, de fausser, de trahir la pensée de l’auteur. Devant l’ânonnement d’un mot à mot exagérément scrupuleux, contraint jusqu’au barbarisme, l’étudiant pressé ou puriste s’impatientait ou se révoltait d’abord. Il était vite converti à cette pratique par l’excellence des résultats.

Car je ne crois pas qu’il soit possible de voir plus clair ni plus profond que lui dans un texte quelconque. Il était arrivé par des lectures incessantes, faites l’esprit toujours en état d’activité et qui ne se laissait jamais fasciner par l’éclat des mots, ni bercer,