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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1915.djvu/486

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REVUE PÉDAGOGIQUE

intellectuels prennent d’abord leur rang, ce fut son extraordinaire puissance de travail. Disposition naturelle qu’il tenait de ses origines ouvrières, l’amour, la passion du travail se fortifiait en lui d’une volonté réfléchie et obstinée de fidélité à ceux de sa « classe ». Il voulait être, dans un autre ordre qu’eux, mais comme eux, un bon ouvrier qui peine et qui produit. Le labeur qu’il a fourni en sa vie si brève est proprement incroyable. Élève, il nous étonnait par sa curiosité indépendante, son goût de la connaissance précise et approfondie. Même les quelques mois de son service militaire n’assoupirent pas cette vocation de l’étude : en marche, dans les haltes, dans la chambrée, avec cette étonnante faculté de s’abstraire qu’il conserva jusque dans les « gourbis » de Berry au Bac, il lisait Spinoza. Les deux années qu’il passa en Allemagne furent pour lui une expérience d’une autre sorte ; l’Allemagne attentivement observée le fortifia dans sa conscience de Français ; mais il sut aussi, du génie germanique, tirer le meilleur, et Goethe, Nietzsche, Hölderlin enrichirent sa pensée sans l’obscurcir, Maître à son tour, la tâche professionnelle, remplie avec zèle et scrupule, ne lui suffit pas. Une ardeur intellectuelle, un appétit de connaître sont en lui et ne se satisfont que par des veilles passionnément studieuses. En ces années de formation décisive, l’abondance et la diversité de ses lectures durent être prodigieuses. Plus tard, l’ayant retrouvé dans une intimité plus libre que celle du professeur avec l’élève, je m’émerveillais de ce qu’on ne pût nommer devant lui une œuvre digne de ce nom qu’il ne connût pas…

Dans l’histoire, dans la philosophie, dans la poésie, dans les livres sur les « métiers », ces métiers chers à son cœur de ils d’ouvrier, que cherchait-il donc d’un esprit si fervent ? On peut répondre, je crois : la vie, ou, plus précisément, l’humanité vivante, Albert Thierry avait le culte de l’homme ; tout ce qu’a fait, tout ce qu’a pensé et voulu ce « Prométhée qui se délivre r, et même ses erreurs et même ses défaites, lui était objet de curiosité et d’amour. De là son éloignement pour la beauté convenue, académique, qui enveloppe ou atténue les reliefs trop âpres ; de là sa préférence pour Îles œuvres sincères, rudes, ardentes, vraies en un mot, et qui nous laissent le goût sévère de la vie.