Aller au contenu

Page:Revue pédagogique, second semestre, 1915.djvu/489

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
477
ALBERT THIERRY

départ, c’était la croyance à la liberté, la foi dans le progrès. Ce progrès, essentiellement intérieur et moral, il le concevait comme le triomphe dans les cœurs et le règne dans la société de la Justice et de l’Amour. Pour sa réalisation, il comptait certes sur le jeu des institutions politiques et sociales, sur le développement des syndicats et des coopératives. Mais il comptait bien plus encore sur la réforme des âmes, seule vraiment décisive. À cet égard, il n attendait pas grand chose de la classe bourgeoise, des possédants : le bien-être et les jouissances ont, pensait-il, altéré en eux la notion du Juste et tari les sources de l’amour. C’est dans le prolétariat laborieux et souffrant, c’est parmi les « pauvres gens » que le levain du travail et de la misère entretient et développe le culte de la justice et le sentiment de la fraternité. C’est « Prométhée », comme il aimait appeler le peuple, qui, au prix d’un combat sans relâche contre les forces mauvaises, doit sauver le monde, Encore est-il un danger : les meilleurs des prolétaires, après s’être élevés par le travail, la culture, l’effort intérieur, ne vont-ils pas se laisser gagner à la séduction des jouissances, trahir leur classe en s’enrichissant, en acceptant des fonctions publiques et des places ? Ceux-là, Albert Thierry les adjurait de demeurer fidèles à leurs frères, fidèles à leur profession manuelle et à leur pauvreté, de consentir à vivre grands par l’esprit, mais humbles par la condition. Le refus de parvenir, c’était à ses yeux l’achèvement de toute culture prolétarienne. Sacrifice si grand qu’il faut un courage plus qu’humain pour l’accomplir. Mais Albert Thierry n’hésitait pas à le croire possible. Et ce socialiste, parlant 5 prolétaires, osait écrire : « Ce que je veux profondément, ce n’est pas qu’ils soient heureux, c’est d’abord qu’ils soient héroïques ».

Cette généreuse doctrine, d’autres qu’Albert Thierry l’ont professée. Pourquoi donc sur ses lèvres prenait-elle un accent émouvant et comme un sens nouveau ? C’est qu’il ne la pensait pas seulement, il l’aimait du plus profond de son âme. Ces idées qu’il exposait d’une voix contenue et comme assourdie par un scrupule extrême de sincérité, elles n’étaient pas pour lui des abstractions, des combinaisons de l’esprit. Elles étaient vraiment les filles de son cœur. Avec elles il s’entretenait sans cesse, dans le silence de sa vie solitaire. Toute atteinte portée à ces « idées