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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1923.djvu/106

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Port-Royal, que Pascal fut amené à inventer sa nouvelle méthode de lecture. L’originalité de cette méthode est de débarrasser l’art de la lecture de toutes ses complications et difficultés factices. Croirait-on que l’usage était alors de rendre l’étude de la lecture fastidieuse et rebutante, en la faisant commencer par le latin, non par le français ? On passait trois ou quatre ans à épeler des mots latins, dépourvus de sens. On n’eût pu rien trouver de mieux pour dégoûter de la lecture. La première réforme de Port-Royal consista à apprendre à lire par le français, non par le latin, c’est-à-dire à associer à la prononciation des mots l’intelligence de leur sens et à intéresser à l’une par l’autre. La seconde, qui appartient en propre à Pascal, était plus difficile à concevoir et à réaliser : elle consistait à procéder à une nouvelle décomposition des éléments du langage en vue d’associer les éléments visuels aux éléments vocaux, autrement dit, à faire aller de front la lecture par les yeux et la prononciation des mots.

Elle se trouve exposée 1° dans la préface des Billets que Cicéron a écrits (1668), 2° au chapitre vi de la Grammaire générale, qui a pour titre : « d’une nouvelle manière pour apprendre à lire facilement en toutes langues ».

Pascal pose cette règle : « Ne faire prononcer aux enfants que les voyelles et les diphtongues seulement, et non les consonnes, lesquelles il ne faut leur faire prononcer que dans les diverses combinaisons qu’elles ont avec les mêmes voyelles ou diphtongues dans les syllabes et dans les mots. »

La justification de cette règle se déduit de la définition même des consonnes. En effet « les consonnes ne sont appelées consonnes que parce qu’elles n’ont point de son toutes seules, mais qu’elles doivent être jointes avec des voyelles et sonner avec elles. C’est donc se contredire soi-même que de montrer à prononcer seuls des caractères qu’on ne peut prononcer que quand ils sont joints avec d’autres ; car en prononçant séparément les consonnes et les faisant appeler (sic, pour : épeler)Note de Wikisource aux enfants, on y joint toujours une voyelle, savoir e, qui n’est ni de la syllabe ni du mot ; ce qui fait que le son des lettres appelées est tout différent des lettres assemblées… Par exemple on fait appeler à un enfant ce mot bon, lequel est composé des trois lettres, b, o, n, qu’on leur fait prononcer l’une après l’autre. Or b prononcé seul fait  ; o prononcé seul fait encore o, car c’est une voyelle ; mais n, prononcé seul, fait enne. Comment donc cet enfant comprendra-t-il que tous ces sons qu’on lui fait prononcer séparément, en appelant ces trois lettres l’une après l’autre, ne fassent que cet unique son bon.

  1. Note de Wikisource Ce sic est erroné : le verbe appeler endossait bien la signification de épeler au xviie siècle.