On lui a fait prononcer quatre sons dont il a les oreilles pleines et on lui dit ensuite : assemblez ces quatre sons et faites-en un. Voilà ce qu’il ne peut jamais comprendre et il n’apprend à les assembler que parce que son maître fait lui-même cet assemblage et lui crie cent fois aux oreilles cet unique son[1].
Cela pourrait s’appeler une démonstration indirecte ou par l’absurde : la seule analyse de la méthode traditionnelle de lecture montre combien cette méthode est inconséquente, cherche l’impossible et va contre son but ; ce n’est pas avec elle ou par son aide que l’enfant apprend à lire, mais au contraire malgré elle et en passant à travers les pièges qu’elle lui tend.
Mais il ne suffit pas d’ôter l’obstacle ; il faut montrer le but et tracer la voie. Ce sera l’objet d’une autre démonstration, directe ou synthétique. Pascal a bien vu où est la vraie difficulté d’apprendre à lire ; il va droit à cette difficulté et l’attaque de front.
Il est certain que ce n’est pas une grande peine à ceux qui commencent de connaître simplement les lettres, mais la plus grande est de les assembler. Or, ce qui rend maintenant cela plus difficile est que chaque lettre ayant son nom, on la prononce seule autrement qu’en l’assemblant avec d’autres. Par exemple, si l’on fait assembler fry à un enfant on lui fait prononcer ef, er, y grec, ce qui le brouille infailliblement lorsqu’il veut fondre ensuite ces trois sons ensemble pour en faire le son de la syllabe fry. Il semble donc que la voie la plus naturelle, comme quelques gens d’esprit l’ont déjà remarqué, serait que ceux qui montrent à lire n’apprissent d’abord aux enfants à connaître leurs lettres que par le nom de leur prononciation, et qu’ainsi, pour apprendre à lire en latin, par exemple, on ne donnât que le même son d’e à l’e simple, l’æ et l’œ, parce qu’on les prononce d’une même façon… ; qu’on ne nommât les consonnes que par leur son naturel, en y ajoutant seulement l’e muet qui est nécessaire pour les prononcer…, que pour celles qui en ont plusieurs (sons), comme c, g, t, s, on les appelât par le son le plus naturel et le plus ordinaire, qui est au c le son de que et au g le son de gue, au t le son de la dernière syllabe de forte et à l’s, celui de la dernière syllabe de bourse. Et ensuite on leur apprendrait à prononcer à part, sans épeler, les syllabes ce, ci, ge, tia, tie, tié, etc.[2].
Les mots que j’ai soulignés « comme quelques gens d’esprit l’ont remarqué » contiennent une allusion obscure et sont faits pour donner le change. On sait que Pascal et Port-Royal tiennent le moi pour haïssable, ont l’affectation et la manie, pour ne pas dire
- ↑ Cité par Sainte-Beuve : Port-Royal, liv. IV, p. 513 du 3e vol. Paris, Hachette, 1888.
- ↑ Cité par V. Cousin : Jacqueline Pascal, p. 206. Paris, Pagnerre, 1849.