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naire qu’elle soit, c’est d’être donnée par l’expérience. Si quelques-uns de ses adeptes ont restreint à l’excès le domaine de l’expérience, refusant d’y comprendre aucun fait qui ne soit attesté par l’un ou l’autre de nos sens (réduits à cinq par une restriction peu philosophique), la faute doit en être rejetée sur eux, et non point attribuée au système dont ils sont épris, mais auquel ils font sérieusement tort, pour en avoir imparfaitement saisi la nature. Aux émotions, à tout ce que l’on y peut découvrir par analyse, à tout ce que l’on peut légitimement induire de leur existence, le Positivisme tend une main amie. Ici, comme partout ailleurs, il demande simplement : telles et telles émotions sont-elles réellement senties ? sont-elles senties comme vous dites qu’elles le sont ? Êtes-vous libres de tirer de leur existence les conclusions que vous en tirez ? Quoi de plus raisonnable qu’une pareille série de questions ? Quoi de plus absurde que le refus d’y répondre ? C’est pourtant là ce que refusait la vieille métaphysique ; et ses représentants modernes suivent la même voie, alléguant que les vérités qu’elle offre sont réellement des faits, mais des faits appartenant à une région où les sens — augmentez-en le nombre, étendez-en le domaine comme vous voudrez — ne jouent aucun rôle. Ces prétendues vérités, le Positivisme les met hors de cause plutôt qu’il ne les nie, s’étant trouvé dans l’impossibilité absolue de se les faire exprimer en termes intelligibles : la plupart du temps, à vrai dire, il les trouve exprimées en termes qui impliquent la plus flagrante contradiction. L’existence et la nature de Dieu, l’immortalité de l’individu, le devoir, l’âme, l’esprit, la perfection, la liberté, et toutes ces autres vérités auxquelles les anciens métaphysiciens et les théologiens de leur école attachaient une importance capitale, — réclamant pour elles, à juste titre, la première place parmi les vérités, — rentrent entièrement dans la sphère du Positivisme bien entendu ; sa méthode est capable d’affronter ces problèmes eux-mêmes sans crainte et sans faiblesse. Si ces doctrines peuvent se traduire en langage intelligible, il les écoute patiemment ; si l’on peut prouver que ce sont là des vérités connues ou senties, il les adopte à tout jamais. Si quelques-uns de ses adeptes, à propos de ces questions les plus élevées de toutes, ont déclaré ou du moins ont paru donner à entendre que le Positivisme considère de telles questions comme tout à fait au-dessus de sa portée, ici encore que le blâme retombe sur qui de droit ; non sur le maître, mais sur le disciple imparfaitement instruit.

La méthode positive peut traiter toute question susceptible d’être exprimée en un langage ayant quelque signification ; et aucune méthode ne peut davantage. Elle supporte avec impatience, je l’avoue, les mots, les sentiments confus, les pensées incohérentes ; mais elle ne nie point que tous les mots aient quelque sens, que les sentiments les plus confus représentent quelque chose, que les pensées les plus incohérentes puissent avoir quelque signification réelle. Mais elle s’efforce de traduire les mots en pensées claires, les sentiments en faits vérifiés, et de donner aux pensées elles-mêmes le point d’appui solide des choses.