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j. soury. — histoire du matérialisme

cience[1]. D’abord un but ou une fin de chaque chose et de toutes choses, voilà la supposition nécessaire ; ensuite une matière et une force qui manifestent dans l’univers ce qui a été pensé et voulu. C’est déjà l’opposition aristotélicienne de la matière et de la forme avec la doctrine de la finalité. Sans s’occuper de physique, dit Lange, Socrate montre les voies où cette science entrera et demeurera si longtemps. Certes, la téléologie de Platon sera moins grossièrement anthropomorphique que celle de Socrate, qui croit que tout a été fait par une cause intelligente pour l’utilité de l’homme ; chez Aristote, le progrès est plus sensible encore, bien que, comme l’a remarqué Lange, un grand nombre de notions éthiques et empruntées à la nature humaine aient été introduites par lui dans l’étude et la conception du monde. Toutefois, à ces trois degrés de développement, la téléologie est également inconciliable avec la science véritable et désintéressée de la nature.

Jamais on n’a plus insisté que Socrate sur la distinction chimérique des choses divines et humaines. Il croyait que les dieux se révèlent à ceux qu’ils favorisent et il les interrogeait au moyen de la divination. Il va jusqu’à attribuer sa maladie (δαιμονᾷν) à ceux qui sont assez fous, dit-il, pour attribuer à la prudence humaine, et non à la volonté des dieux, des événements comme ceux-ci : « L’homme qui épouse une belle femme pour être heureux, ignore si elle ne fera pas son tourment ; celui qui s’allie aux puissants de la cité, ne sait pas s’ils ne le banniront pas un jour, » etc.[2]. Il discourait sans cesse « de tout ce qui est de l’homme ». Les relations, les devoirs, les actions et les souffrances des hommes, voilà l’objet favori de ses éternelles interrogations, de ses subtilités dialectiques, infiniment moins instructives que celles de ces sophistes chez lesquels il prétend combattre l’apparence et l’opinion du savoir sans la réalité. Et lui, que savait-il de la réalité ? Il avait commencé par bannir toute recherche sur la nature et l’origine de l’univers, sur les lois mêmes des phénomènes céleste : c’était là un domaine réservé aux dieux. Socrate faisait aux savants une objection qu’on entend encore tous les jours dans la bouche des paysans ignorants et grossiers : une fois instruits des lois des phénomènes, pouvaient-ils faire à leur gré les vents, la pluie, les saisons ? Que le savant fût

  1. On voit bien ici que la fameuse doctrine de l’identité de la pensée et de l’être plonge par ses racines dans la théologie : elle suppose que l’intelligence d’une âme du monde ou d’un dieu, — intelligence qui ne diffère qu’en degré de celle de l’homme, — a tout conçu et pensé selon une logique et des lois rationnelles identiques aux nôtres, si bien que, par un bon exercice de sa raison, l’homme peut concevoir et repenser l’œuvre divine.
  2. Xenoph., Memor., I, i., §8.