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simple considération des catégories suggère à M. Renouvier et que confirmera encore l’étude approfondie du seul être représentatif qu’il nous soit donné de connaître, à ssavoir de nous-même. Le nouveau criticisme se rapproche beaucoup, on le voit, de la philosophie de Leibniz : mais il se sépare toutefois de cette dernière par des différences notables et essentielles dont la première et la plus importante est que l’auteur des Essais rejette absolument toute idée de substance comme entachée d’idologie et en contradiction avec le principe de la relativité de la connaissance. Les êtres ne sont ni des causes substantielles ni de simples phénomènes ; ils sont des relations, des lois, des fonctions, des puissances ou plutôt des passions en acte, des sortes d’entéléchies bien plus que des monades. Les monades ont d’ailleurs un tort des plus graves aux yeux de M. Renouvier, c’est de contenir en germe, de toute éternité, la série de leurs développements passés, présents ou futurs, ce qui détruit la liberté, et cela d’autant mieux que ces substances ne tirent rien de leur propre fond, puisqu’elles ont été créées et que leur spontanéité « préétablie » n’est réellement que pure passivité.

Malgré les plus louables efforts, la doctrine de Leibniz est, comme toute métaphysique, un panthéisme déguisé fondé sur le prétendu principe de la raison suffisante. Au lieu d’admettre, comme semble les y convier l’expérience, que, dans des conditions données, des faits peuvent surgir spontanément, être à eux-mêmes leurs propres lois ou créer des lois, des fonctions nouvelles, telle que paraît bien être la liberté humaine, les métaphysiciens ont conçu, sous le nom de causalité universelle ou de raison suffisante, une prédétermination absolue de tous les phénomènes par leurs antécédents et de tous leurs antécédents par une cause première : de là l’explication du physique et du moral par des substances et la réduction finale de toutes choses à une substance unique. Mais d’abord, non-seulement la causalité entendue dans ce sens n’est pas prouvée et ne le sera jamais par la science : elle n’est même pas probable et l’ériger en loi nécessaire est une simple pétition de principe. Sur ce point M. Renouvier se sépare nettement de Kant qui, comme nous l’avons vu, a été impuissant à résoudre l’antinomie formulée par la raison pure entre la nécessité et la spontanéité : le criticisme français sauvegarde beaucoup mieux les intérêts de la morale sans violer ceux de la logique. Pourquoi en effet des futurs ambigus et par suite des actes moraux seraient-ils impossibles ? Ils ne naîtraient pas sans cause, mais cette cause serait la liberté elle-même, causa sui. Il ne s’agit pas toutefois ici d’en démontrer l’existence : il suffit de constater qu’elle n’est pas contradictoire.