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classe entre elles les différentes formes des relations sexuelles que peut offrir l’espèce humaine, depuis l’entière promiscuité, jusqu’à l’organisation régulière de la famille chez les peuples monogame. Il y a dans tous ces chapitres, non-seulement cette science, cette richesse de détails à laquelle l’auteur nous a accoutumés, mais, à ce qu’il nous semble, plus de critique qu’il n’en montre habituellement, plus de circonspection, moins de témérité dogmatique. Ainsi, cherchant l’ordre probable dans lequel se sont succédé la promiscuité, la polyandrie, la « polygynie » comme il l’appelle, et la monogamie, il avoue qu’il les range surtout d’après leur valeur sociale ; que l’ordre chronologique de leur succession n’a rien de rigoureux ; que la monogamie, par exemple, quoique supérieure à tous les autres états, semble aussi ancienne qu’aucun autre mode d’union ; qu’enfin tout ce qu’on peut faire est de montrer que ces quatre types de relations domestiques, contemporains à la vérité, ont cependant, en somme, prévalu tour à tour. S’interrogeant sur les causes qui ont pu faire peu à peu cesser tel état et apparaître tel autre, il est amené à examiner pour son compte « l’exogamie, l’endogamie, » et les vues émises à ce sujet par M’Lennan, Lubbock, etc. Il le fait avec fermeté, et la discussion très-serrée qu’il entame à ce propos, le conduit à faire les mêmes réserves que nous avons exprimées ici même à l’occasion du livre de M. Giraud-Teulon[1].

Quelles qu’aient pu être les causes, ce qu’on peut affirmer, selon M. Spencer, c’est que peu à peu la sélection a dû éliminer les « relations maritales » les moins favorables au développement de la population. Celles-là, au contraire, ont dû tendre à prévaloir, qui assurent à la tribu le plus grand nombre de naissances, le plus de soins à l’enfant, le plus de sécurité à la mère, le plus d’union et de paix intérieure, le moins de jalousie entre les adultes, le plus grand développement des sentiments nobles et des attachements généreux. Si la monogamie est le terme supérieur de cette évolution, c’est qu’elle attache plus étroitement que tout autre mode de parenté les époux l’un à l’autre et à leurs enfants, les ascendants aux descendants et réciproquement ; c’est que, en permettant de suivre très-loin les liens du sang, en fixant nettement toutes les relations, elle offre le maximum d’avantages physiques et moraux à l’individu ; elle est un incomparable gage d’union et d’ordre pour la communauté, elle rend possible la transmission régulière de la propriété et de l’autorité, le culte des ancêtres, etc., — bref, elle favorise de la façon la plus puissante l’évolution économique, politique et religieuse. — Rien ne manquerait à cette forte apologie de la famille, si l’auteur n’eût pas craint d’en marquer plus expressément l’avantage le plus incontestable, qui est de sauvegarder seule la dignité des personnes. En cela aussi, en cela surtout, elle sert l’évolution sociale, car le vrai but de cette évolution, la fin suprême de la société, c’est, en somme, le bien moral et le règne du droit.

Henri Marion.
  1. V. la Revue philosophique du 1er  janvier 1876.