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tifs ou battements, lorsqu’ils se produisent à de très-faibles intervalles, trouvent à chaque fois l’organe en train de réunir de nouvelles forces pour la sensation prochaine, et le surprennent avant que le temps normal nécessaire à cette opération soit écoulé ; d’où résulte pour lui une fatigue et une surexcitation insupportables. » C’est ainsi que quand nous passons derrière une claire-voie dont les barreaux projettent sur nous leur ombre, rien n’est plus fatigant pour l’œil que ces alternatives rapides d’ombre et de lumière. C’est ainsi que les vacillations d’une bougie tirent l’œil d’une manière irritante. Telle est pour l’oreille la dissonance. Encore ici, nous voyons l’émotion esthétique se produire par la même cause que l’émotion désagréable ordinaire, dont elle n’est plus qu’un cas particulier.

M. Grant Allen examine et analyse suivant le même principe, tous les éléments essentiels de la musique, l’intensité, la hauteur, la qualité des sons, le rhythme, les intervalles musicaux, les harmoniques ; nous ne pouvons rapporter tous ces détails, qui sont puisés aux meilleures sources et empruntés soit aux ouvrages d’Helmholtz, soit à l’excellente physiologie deHermann. Quant à l’exposition, on ne peut rien souhaiter de plus clair et de plus sobre. Après avoir montré comment toute cette partie se rattache à la doctrine générale de l’auteur, il nous reste à indiquer ses conclusions en ce qui concerne l’esthétique musicale.

N’a-t-il pas été gêné ici par l’article de Spencer dont nous avons parlé plus haut ? Nous voyons d’abord réapparaître la formule : que l’art musical a pour but de produire le maximum de stimulation avec le minimum de fatigue ; mais cette formule n’est pas fortement appuyée, et en effet il y avait peu à ajouter sur ce sujet après les analyses physiologiques précédentes. Puis l’auteur cherche à expliquer comment la musique sans paroles produit des émotions aussi vives. Il cite dans ce but les manifestations primitives du sentiment, qui, joyeux, se faisait jour par des cris et des danses, et triste, s’exhalait en plaintes lugubres. On pourrait, ce semble, aller un peu plus loin. Une analyse physiologique n’est-elle pas possible des connexions qui unissent certains groupes généraux de systèmes et d’airs avec leurs effets émotionnels ? Par exemple, ne pourrait-on pas montrer quelle modification les rhythmes lents produisent sur la respiration, sur la circulation elle-même ? N’y at-il pas quelque rapport à établir entre le groupe de sensations musculaires que nous signalions en débutant, et les sensations auditives ? Nous nous bornons à ces brèves indications : déjà Gratiolet, dans son ouvrage sur la Physionomie et les mouvements d’expression, a posé quelques-uns des principes qui expliquent les sympathies profondes des différentes parties de notre organisme dans le jeu de l’émotion. Il eût été désirable que M. Grant Allen pût poursuivre cette recherche, qui rentrait pleinement dans son cadre. Nous serions mal fondé à réclamer de lui une analyse des causes psychologiques de l’inspiration musicale ; mais dans le plan même qu’il s’est tracé, l’omission que nous relevons peut passer pour une lacune.

De même que les vibrations sonores sont perçues par tout le corps