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herbert spencer. — études de sociologie

sauvages qu’ils existent ; on les connaissait chez les anciens et chez les peuples en partie civilisés, tels que les Juifs, les Grecs, les Huns, les Turcs. Nous voyons comment des rites analogues se forment et deviennent des actes de propitiation permanents adressés à des esprits plus redoutés que les autres qui deviennent des dieux : à savoir les sacrifices de sang (tantôt tiré de victimes mises à mort, tantôt du corps même de l’adorateur, tantôt du corps de ses enfants nouveau-nés), sacrifices que les Mexicains offraient aux idoles de leurs divinités cannibales ; à savoir encore les sacrifices de sang qui motivaient les balafres que se faisaient à eux-mêmes les prêtres de Baal ; enfin ceux que l’on faisait quelquefois aussi pour apaiser Jahveh, par exemple les quatre-vingts individus qui vinrent de Sichem, de Siloé et de Samarie. De plus, les exemples où l’on voit la saignée en usage, comme acte de politesse dans les relations de société, cessent d’être inexplicables. Pendant la cérémonie d’un mariage à Samoa, les amis de la fiancée, pour témoigner de leur respect, « ramassèrent des pierres et s’en frappèrent jusqu’à se meurtrir la tête et la couvrir de sang. » Dans ses récits sur l’Amérique centrale, Martyr dit que, « lorsque des Indiens de Potonchan reçoivent de nouveaux amis,… ils se tirent du sang sous leurs yeux, et, en preuve de leur amitié,… de la langue, de la main, du bras ou de quelque autre partie. »

Toutefois, en citant ces sacrifices de sang à propos des mutilations, je me propose moins de montrer l’origine commune d’où ils sortent, que de préparer les voies à l’explication des mutilations qui en résultent.

Les incisions et les déchirures des parties molles font des blessures qui laissent des cicatrices. Si les sacrifices sanglants qui les provoquent sont offerts par des parents à l’esprit d’une personne d’un rang ordinaire, il n’est pas probable que ces cicatrices aient aucune signification durable ; au contraire, si elles constituent un acte de propitiation à l’adresse d’un chef mort, accompli non point par des parents seulement, mais par des membres de la tribu qui n’ont avec le chef aucun lien de parenté, qui le craignaient et qui redoutent son esprit, ces sacrifices deviennent, comme les autres mutilations, des signes d’assujettissement. Les Huns, qui, « aux funérailles d’Attila, se tailladaient le visage de blessures profondes, » et les Turcs, qui s’infligeaient le même traitement aux funérailles de leurs rois, s’imprimaient par là des marques qui les faisaient plus tard reconnaître pour les serviteurs de leurs souverains respectifs. Il en était de même des Lacédémoniens, qui, « à la mort de leur roi, avaient la coutume barbare de se réunir en grand nombre, et là,