Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
620
revue philosophique

de sa pensée, exalté et alimenté sa verve, par exemple en faveur de la tolérance et de la religion naturelle. De sorte que c’est à Locke qu’il faut faire remonter en grande partie l’action si puissante exercée par Voltaire sur la formation de l’esprit moderne. Toutefois je n’ai pas à insister sur ce point, ne me proposant nullement d’étudier les rapports de Locke avec tel ou tel penseur en particulier. Ceux qui se plaisent à ces rapprochements, toujours un peu artificiels, trouveront ici des indications et des lumières ; mais mon objet est plus général : après avoir fait revivre de mon mieux la physionomie historique de Locke, je voudrais faire revivre sa pensée et retracer la genèse de ses idées, c’est-à-dire montrer les circonstances qui ont déterminé son point de vue et sa méthode, et signaler les traits saillants du corps de doctrine qu’il a laissé.

À mes yeux, aucune lecture particulière n’exerça une influence décisive sur Locke ; autant qu’aucun autre philosophe, il fut lui-même, c’est-à-dire tel que le faisaient ses qualités natives et son milieu. Sans doute, à chaque époque, le milieu comprend, entre autres choses, les livres et les systèmes antérieurs, qui contribuent plus ou moins à le former, selon qu’ils ont fait plus ou moins de chemin dans les esprits. À ce titre, tout philosophe doit quelque chose à tous ceux qui l’ont précédé. On subit l’action d’un ouvrage avant de l’avoir lu, même sans jamais le lire. On respire les idées qui sont dans l’air. Elles circulent par la conversation des gens instruits bien avant de passer dans l’enseignement ; la littérature s’en imprègne et leur sert de véhicule. Je ne dis rien de ces milliers de Revues et de publications périodiques de tout genre, qui aujourd’hui répandent les idées si vite et si loin : Locke n’a pas connu dans sa jeunesse ces excellents instruments d’étude, qui ont apparu pour la première fois de son vivant. Mais, curieux comme il était, et plein de répugnance pour la philosophie surannée de d’École, on peut croire que de très-bonne heure il s’est assimilé toutes les nouveautés qui lui arrivaient n’importe de quelle manière, tout ce qui directement ou non pouvait venir jusqu’à lui de Bacon, de Hobbes ou de Descartes. Ce que je tiens pour certain, c’est qu’il n’a été proprement le disciple d’aucun de ces philosophes, ni de personne ; que Descartes, à qui il doit le plus, lui a rendu sans doute le service de le réconcilier avec la philosophie et d’exciter sa curiosité, mais sans lui fournir ni sa méthode ni aucune partie essentielle de son dogme ; qu’enfin, son œuvre a eu pour source avant tout son propre tempérament intellectuel et moral, sollicité par les circonstances de toutes sortes au milieu desquelles il a vécu.

Un premier point mis hors de doute par l’histoire même de sa