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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

hasards de ses réflexions pour trouver le parti à en tirer. Seulement ses réflexions étaient incessantes, et il les recueillait au fur et à mesure, se défiant de sa mémoire. « On doit toujours avoir sur soi de quoi écrire, disait-il, et noter soigneusement toutes les pensées de quelque importance qui peuvent venir… Les réflexions qui surgissent soudain sans qu’on les cherche sont d’ordinaire les plus précieuses de toutes ; il faut aussitôt s’en emparer, car il est rare qu’elles reviennent[1]. » C’est ainsi qu’il fécondait par ses méditations personnelles les faits avidement accumulés : autrement, il n’eût pas été philosophe.

Mais s’il était abeille, non simplement fourmi, pour parler le langage de Bacon, les preuves surabondent de son mépris pour les « toiles d’araignée » de la méthode déductive. Dans la première page philosophique qu’il ait écrite[2], on trouve déjà cette phrase caractéristique : «’Necessity wast thefirst finder-out of moral philosophy, and expérience (which is a trusty teacher) was the first master thereof. » Et l’Éthique, « nécessaire au gouvernement de la vie humaine, » la Physique, « qui nous fait connaître le monde et les choses qu’il contient, » sont données comme les parties essentielles de la philosophie, la Dialectique n’étant qu’un moyen de les faire avancer l’une et l’autre, un instrument à leur service. Le même esprit éclate partout dans Locke et fait l’unité de ses écrits ; mais le remarquable fragment[3] de Arte medica (1669) est particulièrement explicite à ce sujet. « Ceux qui s’appliquent sérieusement à manipuler et arranger des abstractions se donnent beaucoup de peine pour peu de chose et feraient aussi bien de reprendre, étant hommes, leurs poupées d’enfants. Pourquoi les ont-ils quittées pour jouer avec ces idées vides et sans réalité, vraies poupées de notre imagination et de notre fantaisie, qui, avec quelque habileté qu’on les habille, ne sont encore, après qu’on les a bercées quarante ans, que des jouets inertes et inutiles ?… » — « Il n’y a de connaissances vraiment dignes de ce nom que celles qui conduisent à quelque invention nouvelle et utile, qui apprennent à faire quelque chose mieux, plus vite et plus facilement qu’auparavant. Toute autre spéculation, fût-elle curieuse et raffinée, eût-elle des apparences de profondeur, n’est qu’une philosophie vaine et paresseuse, une occupation de désœuvrés. »

  1. Locke to Samuel Bolde, 6 may 1699.
  2. Elle a pour titre « Philosophy » et « Of the Kinds of teaching moral philosophy ». Cette sorte de note insérée par lui, vers l’âge de 24 ans, dans le Memorandum-book de son père, est la première trace que nous ayons de sa pensée. Il n’y a d’antérieur, dans tout ce qui reste de lui, qu’une recette « pour faire de l’encre brillante », écrite aussi de sa main.
  3. Récemment retrouvé : Shaftesbwy Papers, série VIII, no 2.