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quelles elles sont comptées sur les axes à partir de l’origine. Quand la qualité ou la quantité est précédée du signe —, cela veut dire que ce facteur de la sensation n’est pas perçu ou reste dans l’inconscience. C’est ainsi qu’on peut percevoir la lumière sans voir la couleur. L’auteur discute ensuite cette formule, qui rend compte, d’après lui, de toutes les modifications possibles de la sensation.

M. Preyer est un esprit curieux, inventif et tourmenté du besoin de l’unité. Il a essayé de démontrer que la loi de Fechner s’appliquait aux contractions musculaires (das myophysische Gesetz, 1874) ; il a fait des expériences très-intéressantes sur les limites des perceptions de l’oreille (Ueber die Grenzen der Tonwahrnehmung, 1876) ; il s’est fait connaître par des recherches sur la cause du sommeil (Revue scientifique, 1877) ; etc. Dans tous ces travaux, on reconnaît le penseur qui veut tout réduire à sa plus simple expression, qui cherche la formule générale, et qui est prêt à sacrifier au but qu’il poursuit des différences peut-être essentielles, mais auxquelles, dans le moment, il est entraîné à dénier toute importance. À ces mérites ajoutez qu’il écrit avec ordre et clarté, et l’on comprendra que ses œuvres attachent le lecteur et le font réfléchir, tout en soulevant dans son esprit nombre d’objections.

Ainsi, pour ne pas sortir du sujet présent, est-il bien sûr que toute sensation implique qualité et quantité ? Cela est vrai jusqu’à un certain point des impressions de la vue, du goût, de l’odorat, de l’ouïe ; mais la température, la pression sont-elles dans ce cas ? Nous voulons bien admettre que le gris fournit une sensation qui n’est ni trop forte ni trop faible ; nous voulons bien concéder qu’une remarque analogue s’applique également au son ; mais en est-il de même de la pression ? la pression légère ne devrait-elle pas être remplacée par la succion ou la pression interne, et la pression moyenne n’est-elle pas la pression athmosphérique ordinaire, de même que la température moyenne a sa place entre le chaud et le froid ?

Arrêtons-nous davantage sur le parallélisme que l’auteur veut faire régner entre la qualité et la quantité. Nous ne nous opposons pas à ce que, quand l’intensité varie, on représente ce changement par une expression de la forme a + b. Mais nous avons peine à admettre — jusqu’à preuve du contraire — qu’un changement dans la qualité puisse se renfermer dans un semblable algorithme.

Sans doute on peut dire, en forçant les sens des termes, que le bleu passe au vert par l’addition du jaune ; mais nous ne concevons pas comment la transformation de la sensation d’ut en celle de sol s’obtiendrait par l’addition ou la soustraction de n’importe quoi. Ou bien il faut aller jusqu’au bout et admettre des passages insensibles non-seulement entre les sensations de même ordre, mais entre celles d’ordres différents et faire rentrer dans les formules la métamorphose, par exemple, de la sensation du rouge en celle d’amer ou d’acide. À un point de vue tout abstrait, c’est chose possible, et peut-être M. Preyer ne reculerait-il pas devant cette assertion extrême. Cependant je ne sais jusqu’à