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en fît quelques-unes avec méthode, en vue d’éclaircir la question qui nous occupe. Toute observation présente un ensemble de détails confus ; pour voir clair, il faut être fixé sur ce qu’on cherche et y consacrer toute son attention. Le débat des nativistes et des empiriques a délimité le problème à éclaircir : on peut espérer que de nouvelles recherches permettront de le résoudre.


Les considérations que nous venons de faire valoir en faveur de la thèse empirique reposent sur l’analyse physiologique et psychologique des perceptions tactiles. Il y en a d’autres qu’on peut tirer de la pathologie : on en a fait peu usage jusqu’ici. Tout le monde connaît les illusions des amputés : on sait qu’ils éprouvent longtemps les mêmes sensations que s’ils avaient encore le bras ou la jambe qu’ils ont perdus, et que ces sensations sont nettement localisées dans tel doigt, dans tel orteil. Weir Mitchell, dans son livre sur les Lésions des nerfs, rapporte qu’il a vu des amputés qui voulaient étendre ou fléchir leurs doigts, les écarter, et qui disaient : « Ma main est ouverte ; maintenant elle est fermée. Je touche mon pouce avec le petit doigt, etc. » Il leur semblait que le mouvement était produit tel qu’ils le voulaient, et ils avaient une idée assez nette de l’étendue et de la force de ce mouvement. Ces faits, qui ont donné lieu à beaucoup de dissertations, prouvent au moins le rôle considérable de l’activité musculaire dans les perceptions.

Une autre question nous importe. Ces illusions persistent longtemps, — ceci n’est pas douteux. — Mais persistent-elles toujours ? ou bien après des années disparaissent-elles complètement ?

Parmi les nativistes. Müller paraît le seul qui ait vu la portée de cette question, et il insiste fort sur la négative (tome I, p. 643 et suiv.) « On a coutume de dire que l’illusion des amputés dure quelque temps, jusqu’à ce que, la plaie ayant été cicatrisée, le malade cesse de recevoir les soins du médecin. Mais la vérité est que ces illusions persistent toujours et qu’elles conservent la même intensité pendant toute la vie. » À l’appui de son affirmation, Müller rapporte neuf exemples, dont plusieurs sont assez détaillés.

L’affirmation contraire est soutenue par beaucoup d’auteurs[1]. Les illusions des amputés, disent-ils, persistent pendant quelque temps

  1. Vulpian, Dictionn. cncycl. des sciences méd., art. Moelle épinière,p. 523 ; Carpenter, Mental Physiology, p. 150 ; Spring, Symptomatologie, tome II,p. 42. Les renseignements qui nous ont été donnés sont loin d’être concordants : il semble qu’il se rencontre plus ou moins chez les amputés une lutte entre deux groupes d’états psychiques, l’un acquis depuis l’amputation, l’autre antérieur, fixé par la mémoire.