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opérations autoplastiques. Lorsqu’un lambeau de peau est rapporté du front sur le moignon du nez, tout contact sur ce nouveau nez est rapporté par le malade au front, tant que subsiste à la racine du nez la communication des fibres nerveuses entre le front et le nez nouveau. Quand cette communication a été coupée, des connexions nouvelles s’établissent et l’erreur de localisation n’a plus lieu. L’illusion du premier moment s’explique dans l’une et l’autre hypothèse : pour les empiriques, elle vient de ce qu’une expérience de longue date n’a pu encore être modifiée par des expériences nouvelles ; pour les nativistes, elle vient de ce que toute impression est rapportée par le sensorium à l’extrémité périphérique du nerf, quelle que soit la situation de cette extrémité. Mais la rectification du second moment ne paraît explicable que dans la théorie empirique : après des expériences répétées, les impressions de contact deviennent des parties intégrantes d’un nouveau groupe ; elles entrent en rapport avec de nouveaux éléments et finissent par constituer avec eux une association stable ; une localisation nouvelle résulte des conditions nouvelles.


En comparant les deux théories rivales, la plus grande probabilité paraît donc en faveur de la thèse génétique. La connaissance topographique de notre propre corps — et cette connaissance est la condition de celle du monde extérieur — est le résultat d’efforts et de tâtonnements réitérés. La localisation est pour l’adulte un acte automatique ; mais cet automatisme n’est pas congénital, il a dû être acquis par une répétition d’expériences. Le petit enfant crie, quand il souffre, sans montrer par aucun signe qu’il rapporte sa douleur à un endroit particulier. Nous-mêmes, lorsque nous nous éveillons avec quelque sentiment de malaise ou d’incommodité, nous ne pouvons tout d’abord lui assigner précisément une origine locale. La plupart des faits, ordinaires ou exceptionnels, sont en faveur des empiriques.

Il faut remarquer d’ailleurs que ni l’une ni l’autre des deux théories n’est exclusive, qu’elle ne peut l’être. Les nativistes reconnaissent le rôle de l’expérience, mais ils le tiennent pour secondaire. D’autre part, aucun empirique ne s’avisera de douter qu’il y ait des conditions anatomiques et physiologiques, innées, préétablies. Les nativistes ont le défaut, inhérent à leur méthode, de s’arrêter trop tôt dans la voie des explications, l’innéité paraissant une raison dernière. Les empiriques, exempts de ce défaut, prennent en revanche la charge de tout expliquer et sont loin d’y parvenir. Beaucoup de points restent obscurs, faute d’observations suffisantes en nombre