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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/186

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et cite tous ses devanciers. Mais il rajeunit, il renouvelle vraiment tous les sujets qu’il traite, par la rigueur scientifique qu’il y apporte et la rare sagacité qui lui est propre. Le grand mérite de cet ouvrage, à notre sentiment, c’est d’offrir au lecteur des observations fines, ingénieuses, variées, abondantes, nouvelles, sur des sujets déjà connus. Comme ce livre vaut surtout par le détail et se refuse à une analyse de quelques pages, nous avons préféré rendre compte d’un seul chapitre, de celui qui nous a paru le plus intéressant, le plus important, et qui fait le mieux comprendre l’esprit de l’ouvrage.

Principe d’association esthétique. — Pourquoi, de tous les fruits, l’orange est-elle celui qui plaît le plus à l’œil ? Serait-ce à cause de sa couleur éclatante ou de sa forme sphérique ? Certes, cette couleur et cette forme, à elles seules, sont fort agréables. Mais elles ne suffisent pas à expliquer le plaisir que nous éprouvons à voir une orange. Je prends en effet une boule de bois de même grosseur, je la polis et je la peins en jaune : l’impression produite est tout autre. D’où vient cette différence ? C’est que l’orange me donne l’impression d’un fruit exquis et parfumé, c’est qu’elle me fait penser aussitôt à un bel arbre, au ciel chaud, au pays enchanté qui l’a produite, en un mot à l’Italie, cette terre qui de tout temps exerce sur nous je ne sais quel attrait romantique. Au contraire, une boule de bois me rappelle simplement l’atelier de tourneur où elle a été fabriquée et le peintre vulgaire qui l’a badigeonnée de jaune. Il s’ajoute donc à la couleur de l’orange et à sa forme quelque chose qui en fait pour nous tout le charme et que j’appellerais volontiers la couleur morale, venant se mêler à la couleur sensible, une impression associée qui se marie à l’impression directe.

Pourquoi une joue rose nous plaît-elle mieux dans un visage juvénile qu’une joue pâle ? Est-ce simplement parce que le rose vif, en soi, a plus de charme pour l’œil que le gris ou toute autre teinte terne ? Mais, à ce compte, un nez rubicond ou une main rouge nous procureraient le même plaisir ! Non. Une joue rose nous plaît, parce qu’elle signifie pour nous jeunesse, santé, joie, vie épanouie ; un nez enluminé nous fait penser à l’ivrognerie ou à quelque maladie, une main rouge à l’habitude d’écurer, de patauger : choses déplaisantes ! Si, au contraire, nous avions été accoutumés, dès l’enfance, à envisager un nez empourpré et une joue livide comme les emblèmes de la santé et de la tempérance, nous les trouverions beaux. Le fait est que les femmes de l’Amérique du Nord et les Polonaises préfèrent la pâleur à un teint coloré et cherchent à se la procurer au détriment de leur santé, en prenant du vinaigre. Serait-ce, peut-être, parce que cette teinte blafarde leur plaît mieux que le rouge ? Non certes. Mais elles sont habituées à voir dans une joue pâle le signe d’une constitution plus délicate, d’une culture supérieure et d’une vie plus aristocratique ; dans un visage haut en couleur, au contraire, la marque d’une origine baisse et paysanne. C’est pour les mêmes motifs que les Chinois sont ravis des