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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/188

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Devant un globe d’or, nous pensons immédiatement à une fortune californienne : palais somptueux, carrosses, chevaux, laquais en livrée, voyages lointains. La boule de bois n’est là, semble-t-il, que pour rouler. Quant à la lune, qui en dira le charme poétique ?

Le degré de plaisir ou de déplaisir éprouvé aux réminiscences qu’éveille en nous la vue d’un objet est donc un moment de l’impression esthétique qui peut s’accorder ou entrer en conflit avec d’autres moments du souvenir ou avec l’impression directe. Plus nous sommes fréquemment et directement en rapport avec un objet, plus les souvenirs laissés sont profonds et vifs, plus aussi ils imprègnent, colorent l’impression directe et l’emportent sur elle. Quand les expériences sont rares et indéterminées, c’est le contraire qui aura lieu.

Un exemple tiré de la vie de tous les jours nous montrera combien, en certains cas, l’impression associée peut l’emporter sur l’impression directe. Tenez votre doigt devant vos yeux à quelque distance : vous croirez l’apercevoir avec sa grosseur normale, et pourtant l’image qu’il forme sur la rétine est beaucoup plus petite et ne grossira pas pour un aveugle fraîchement opéré. L’expérience journalière, que notre doigt, à n’importe quelle distance, ne change pas de dimension, l’emporte sur la perception sensible, et nous croyons le voir de même grandeur. Mais que les distances dépassent le domaine de l’expérience, les objets nous apparaissent rapetisses dans la proportion exacte de leur éloignement ; exemples : le soleil, la lune et tout ce qu’on distingue du sommet d’une haute montagne. Quoi d’étonnant, dès lors, si nous attribuons aux choses elles-mêmes la résultante de plaisir ou de déplaisir produite par nos expériences passées : addition pure et simple de notre esprit à l’impression directe ?

Sans doute, il ne faut pas exagérer la portée de ce principe. Imaginons une orange grise, au lieu d’être jaune, et déformée au lieu d’être ronde ; tous nos souvenirs d’autrefois auront beau s’y ajouter, nous ne la trouverons pas belle. L’impression directe a donc ses droits, sur lesquels nous n’empiéterons pas. Nous voulons simplement appeler l’attention sur l’importance trop méconnue du principe d’association.

Association par ressemblance. — Etant donnés deux objets analogues et qui se rappellent mutuellement, l’impression associée peut facilement se reporter de l’un sur l’autre. Elle agit presque exclusivement, quand nous rencontrons quelque chose de tout à fait nouveau ; tandis qu’elle ne joue presque aucun rôle en présence d’objets qui nous sont familiers. Lorsque le premier lama arriva à Leipzig, cet animal, quoique inconnu jusque-là, s’attira toutes les sympathies. Pourquoi ? Parce que ses jambes éveillaient des idées d’élégance, de légèreté et d’agilité ; ses yeux, de douceur et de piété ; son poil, d’ordre, de propreté, d’abondance et de chaleur. — En revanche, une boule de bois jaune ne nous conduit pas à reporter sur l’orange l’impression de sécheresse, d’origine mécanique, qu’elle nous produit, attendu que, quoique ces deux corps soient