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musculaire, auront proportionnellement une moelle épinière fort grosse et un très-petit cerveau. »

Il ne saurait être question de comparer la genèse des nerfs et du système nerveux, telle que la conçoit Lamarck, avec l’explication autrement savante et compliquée que présente M. Herbert Spencer, et que ses disciples prétendent vérifier par l’expérience[1]. Cependant si, négligeant les détails, on ramène l’essai de Lamarck à ses points essentiels, on y distinguera surtout deux idées : 1o l’hypothèse d’un fluide qui par ses mouvements tend à prolonger, à étendre la matière nerveuse sur laquelle il opère, comme une masse d’eau qui, remuée et agitée par le vent, tend à creuser son lit toujours plus loin ; 2o l’influence de l’usage et de l’exercice sur le développement des organes nerveux. Or il est facile de retrouver ces deux conceptions au fond des suppositions du philosophe anglais. Que veut prouver en effet M. Spencer : « que des lignes de communications nerveuses doivent apparaître, et, une fois apparues, devenir des lignes de communications de plus en plus aisées, en proportion du nombre et de la force des décharges qui les traversent. » Ces décharges nerveuses ne sont-elles pas, sous une autre forme, ce que Lamarck appelle les mouvements du fluide nerveux ? Et d’autre part M. Spencer n’est-il pas obligé de recourir sans cesse à l’influence de l’exercice ? « La cause la plus active, sinon dans la première période, au moins dans les périodes ultérieures, de l’évolution nerveuse, c’est, dit-il, la production directe, par des changements dus à l’exercice des fonctions, de changements correspondants dans la structure nerveuse. »

Ne nous arrêtons pas aux difficultés que soulève une semblable formation du système nerveux. On pourrait arrêter Lamarck dès les premiers pas. Comment appliquer en effet le principe fondamental, l’organe naît du besoin, alors qu’il n’existe encore aucune trace de système nerveux ? Où donc est le besoin de se mouvoir, chez un animal absolument dépourvu des nerfs du mouvement ? Où est le besoin de sentir, chez l’être qui ne possède encore qu’un système nerveux musculaire ? On conçoit à la rigueur que l’usage développe un organe déjà créé, mais non que le besoin fasse naître cet organe ; car le besoin est corrélatif à l’organe, il ne saurait le précéder, il naît avec lui,, mais pas avant lui. Il en est du moins ainsi dans l’hypothèse d’une nature matérielle, où tout se réduit à des principes mécaniques. Il en serait autrement peut-être dans un système où l’on admettrait l’action des causes finales : ici en effet on pourrait

  1. Voir le livre de M. G. J. Romanes : de l’Évolution des nerfs et du système nerveux ; analysé dans la Revue philosophique, tome v, p. 444.