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IV


M. Ribot, dans son livre sur la Psychologie anglaise contemporaine, émet l’idée très-juste que « l’idéal de la Psychologie serait de pouvoir expliquer tous les sentiments par une double méthode d’analyse et de synthèse[1]. » Ce sont les principes de l’analyse des sentiments que nous avons cherché à établir dans les chapitres précédents ; il nous faut essayer à présent d’esquisser les principes d’une synthèse des émotions complexes dont nous n’avons pas eu encore l’occasion de parler.

Les premiers essais d’une synthèse des sentiments remontent à l’époque des Stoïciens, et depuis, jusqu’aux derniers travaux de Dumont et de Horwicz, il y a peu de philosophes qui n’aient renouvelé la tentative de Zénon. C’est Descartes surtout qui a mis à la mode cette intéressante question, en tâchant de réduire toutes les passions particulières, comme il s’exprime[2], à six simples ou primitives : l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse[3]. Mais la synthèse de Descartes, qui ne manque pas de pénétration, pour employer le terme de Spinoza[4], est loin d’être satisfaisante, non-seulement parce qu’elle est fondée sur une analyse qui n’a rien de scientifique, mais surtout parce que Descartes n’a pas la moindre conscience des principes qui régissent l’évolution des sentiments. Car, s’il indique de quels sentiments simples se compose tel ou tel sentiment particulier, il ne dit jamais quelles lois de notre nature psychique rendent une pareille synthèse nécessaire et quels modes d’évolution sont les seuls possibles dans le domaine des faits affectifs. C’est la raison sans doute pour laquelle Spinoza crut devoir recommencer le même travail, comme s’il n’avait jamais été fait, et insister sur sa nouvelle méthode. Cette méthode est rigoureuse et raisonnable, comme il le prétend lui-même[5], c’est la méthode des géomètres, et il veut analyser les appétits des hommes « comme s’il était question de lignes, de plans et de solides. » Le mérite de Spinoza est extrêmement grand, comme nous allons le voir tout de suite, mais ce n’est pas dans la méthode de la classification des sentiments elle-même qu’il consiste, et malgré un bon

  1. Voir p. 85.
  2. Les passions de l’âme, troisième partie.
  3. Loc, cit., art. 69.
  4. Eth., III, Préface. (Trad. d’Em. Saisset, p. 111.)
  5. Loc. cit., Préface, p. 102.