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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/260

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de leur cause originelle à quelque objet qui s’y rapporte[1]. » Spinoza nous parle aussi de ce mode d’association : « Par cela seul, dit-il, qu’au moment où notre âme était affectée de joie ou de tristesse nous avons vu un certain objet, qui n’est point du reste la cause efficiente de ces passions, nous pouvons aimer cet objet ou le prendre en haine[2]. » Dans la proposition suivante il nous fait voir que la même translation des sentiments à de nouveaux objets, autrement dit, leur association avec de nouvelles idées, peut suivre le principe de ressemblance, ce qui est une allusion à la loi que les Anglais nomment the law of similarity. Nous voyons donc que Spinoza a été très avancé dans ses conceptions sur les processus de la synthèse des faits psychiques et il n’y a rien d’étonnant qu’il en vienne à ce principe qui doit servir de point de départ à toute synthèse des phénomènes affectifs, à savoir qu’on peut déduire des passions primitives, quelles qu’elles soient, un nombre de passions plus grand qu’il n’y a de mots reçus pour les exprimer, ce qui fait bien voir, dit Spinoza, que les noms des passions ont été formés d’après l’usage vulgaire bien plus que d’après une analyse approfondie[3], et ce qui amène à penser que le problème des psychologues n’est pas autant d’expliquer la signification des mots[4], que de faire entrevoir, premièrement, toutes les voies que l’évolution des sentiments a pu prendre, et en second lieu, toutes celles qu’elle a dû prendre, en suivant l’évolution psychique générale de telle ou telle espèce d’organisme ; car ce n’est qu’après la solution de ce double problème qu’on a le droit de passer à la synthèse des émotions complexes qui se rencontrent dans l’existence de la société humaine, par exemple.

Mais avant d’entreprendre l’examen de pareilles questions, il nous faut voir encore les causes principales qui ont empêché jusqu’à présent l’application des principes que Spinoza déjà avait découverts. Car, malgré les deux siècles qui se sont écoulés depuis l’apparition de l’Éthique, chaque écrivain de nos temps continue, comme les anciens, de proposer sa propre classification des sentiments qui n’a rien de commun avec celles de ses prédécesseurs, ce qui prouve avec évidence, comme le dit très-bien Horwicz dans ses Analyses psychologiques, que la question de la classification des sentiments est encore bien loin de sa solution[5].

  1. Loc. cit., ibid.
  2. Loc. cit., Propos. XV, coroll.
  3. Loc. cit., LII, scholie.
  4. Comp. Spinoza, loc. cit., App., Déf. XX, Explic.
  5. I Th., p. 170.