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notre conception se transforme et n’est pas détruite ; il reste le sens de la réalité, séparée autant que possible des formes spéciales sous lesquelles elle était auparavant représentée dans la pensée. La négation continuelle de toute forme et de toute limite particulière n’a pas d’autre résultat que de supprimer plus ou moins toutes les formes et toutes les limites, et d’aboutir à une conception indéfinie de l’informe et de l’illimité. »

J’ai déjà tâché de montrer qu’il est impossible de supprimer toute forme et toute limite, que nous ne pouvions sortir du relatif, et qu’aucun état de conscience ne pouvait être une conception même vague et indéfinie de l’absolu. Quant à l’existence objective, nous pouvons parfaitement y croire, en admettant la complète relativité de la connaissance humaine. Nous sommes conduits en effet, par l’expérience et l’induction, à admettre l’existence du monde extérieur ; mais nous ne connaissons cette existence qu’en tant qu’elle se manifeste à notre conscience, c’est-à-dire relativement. Nous ne connaissons rien que par notre conscience, et tout fait de conscience est relatif ; il est inutile de revenir sur cette démonstration, si bien faite par sir W. Hamilton et H. Spencer lui-même. Peut-on dire maintenant que le monde a une existence en soi, une existence absolue ? Rien ne nous autorise à admettre une pareille proposition. Les phénomènes que nous connaissons sont relatifs ; ceux que nous ne connaissons pas sont relatifs aussi, car un phénomène ne peut être que relatif. Quant à la substance même, en admettant qu’elle existe, ce que nous ignorons, nous ne pouvons la concevoir comme absolue, d’abord parce que nous ne pouvons penser l’absolu, ensuite parce que nous sommes forcément conduits à croire qu’une substance doit avoir quelque relation avec ses phénomènes.

Cette dernière considération doit nous porter encore à ne pas admettre l’absolu inconnaissable dont le monde serait une manifestation, car nous ne pouvons supposer cet absolu sans relation avec ses manifestations, et il est contradictoire de supposer l’absolu en relation avec qui que ce soit.

Ainsi tout s’accorde pour nous montrer la complète relativité de notre connaissance, ce que devait nous faire prévoir cet argument irréfutable auquel M. H. Spencer a vainement tenté d’échapper : « La pensée ne peut s’élever au-dessus de la conscience. La conscience n’est possible que par l’antithèse du sujet et de l’objet de la pensée, connus seulement par leur corrélation et se limitant mutuellement. » (Sir W. Hamilton.) Non-seulement l’absolu ne peut être connu, mais son existence ne peut être démontrée. Sans dire que