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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/297

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egger. — sur les lapsus de la vision

série d’affiches de toutes couleurs qui couvrent un mur. Le temps et l’attention m’ont également manqué pour en remarquer spécialement aucune ; mais, aussitôt le mouvement terminé, mon imagination me représente cette inscription en gros caractères : VELPEAU ; c’est un état faible, comme les visa intérieurs du souvenir. Je suppose immédiatement que cette image a pour cause une des affiches que mon regard vient de parcourir sommairement ; mais le nom du grand chirurgien en tête d’une affiche de couleur, d’une affiche-réclame, cela a quelque chose d’anormal. Alors, pour me rendre compte du fait, je tourne la tête en sens inverse, et, cette fois, j’arrête le mouvement, mes yeux ayant rencontré une affiche en tête de laquelle se lisent en gros caractères les mots : VILLE DE PAU. Mon esprit a raisonné ainsi : « J’ai vu des affiches ; or j’ai présente une image en caractères d’affiches ; ce qu’elle représente, j’ai dû le voir ; pourtant… ? vérifions. ! » Et une seconde expérience, expérience attentive celle-là, a convaincu l’image d’inexactitude. Le couple de faits, vision et image, constitue donc ce que l’on peut appeler un lapsus oculorum, produit par l’extrême rapidité de la vision, jointe à l’inattention d’un esprit occupé ailleurs.

Ce lapsus semble se décomposer en deux erreurs simultanées, l’une portant sur l’élément formel, l’autre sur l’élément matériel du visum. De là la tentation d’attribuer deux causes différentes à l’ensemble du lapsus :

1° L’espace occupé par l’inscription m’a paru plus petit qu’il n’était, parce que la vision a été très-rapide ; si cette hypothèse était vérifiée, il faudrait admettre que l’espace apparent est, dans une certaine mesure tout au moins, proportionnel à la rapidité du mouvement de l’œil ; l’étendue serait fonction de la durée.

2° Les conditions de la vision dans l’espèce ayant normalement déterminé une certaine étendue, restait à remplir cette étendue par une image colorée ; mais l’espace était insuffisant pour contenir l’inscription VILLE DE PAU, et, de plus, l’image colorée réelle avait fait sur mon œil une impression faible, faute de durée ; le commencement et la fin seuls, c’est-à-dire les lettres V et AU, que leur position détachait plus nettement sur le papier de couleur, ont subsisté intacts ; l’espace intermédiaire a été rempli par l’imagination ; et l’acte de l’imagination a été déterminé, comme il arrive toujours dans les lapsus, par le concours de deux causalités ; l’image produite a été : 1° analogue à l’image qui aurait dû être produite à sa place, ou, dans l’espèce, à l’impression visuelle ; 2° identique à une image déposée antérieurement dans l’esprit et qui par conséquent avait par elle-même une certaine tendance à la reproduction. La première cause a donné la forme majuscule des lettres, et les lettres E, E, L, P, sans compter le V initial et le AU final ; la seconde, l’ordre de ces lettres, c’est-à-dire le nom bien connu de Velpeau.

Dans cette hypothèse, le mouvement de l’œil rendrait compte de