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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/323

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analyses. — gizycki. Philosopische Consequenzen, etc.

Mais l’organisme intellectuel de l’homme n’est guère plus tombé des cieux que son organisme physique : à moins de croire à cette chute merveilleuse, on reconnaîtra que notre nature intellectuelle a subi, elle aussi, son évolution, conformément à des lois éternelles. Ce que nous appelons notions universelles de l’esprit, principes nécessaires et a priori de la raison, ce sont donc les formes constantes du penser humain déterminées par les rapports constants du dedans avec le dehors. Cette harmonie préétablie n’est pas seulement l’œuvre de l’hérédité dans les limites d’existence de l’espèce humaine : elle s’étend à la série infinie des espèces vivantes qui, de degré en degré, poussent leurs conquêtes plus haut et plus loin, grâce à une transmission non interrompue du plus bas échelon au plus élevé. Kant croyait à tort que cette « espèce de préformation de la raison pure », comme il appelait cette conception intermédiaire entre l’empirisme et la doctrine de l’innéité, n’explique pas le caractère de nécessité des catégories de l’entendement. C’est une chose qui va de soi, que les innombrables générations du règne animal ne pouvaient subsister que grâce à ce parallélisme harmonieux des lois objectives et des lois subjectives. Durant des miniers d’années, notre organisme mental a évolué en s’adaptant continuellement aux conditions du monde environnant, et ainsi le dehors tient tout entier dans les lois de notre pensée, parce que celles-ci sont le reflet lumineux des lois éternelles antérieures à notre pensée. Loin d’être une simple apparence subjective, notre pensée est au contraire la représentation des choses en soi. « La nature, dit Strauss, se sentait déjà dans l’animal ; elle veut en plus se connaître dans l’homme : ne pouvant s’élever au-dessus d’elle-même, elle se replie en soi. »

La conclusion de M. Gizycki est résolument réaliste. Il est vain sans doute d’identifier nos représentations avec les choses représentées ; mais admettre un royaume magique qu’on décore par antiphrase du nom de « monde intelligible » est une négation de toute pensée, un suicide de la raison. Notre pensée est bien une expression de ce qui est, aussi valable que le pourrait être aucune autre expression ; distinguer le monde des apparences et le monde de l’être, c’est placer un concept logique inerte et infécond, celui de l’existence en soi, au-dessus de la vie immédiatement sentie et connue. La science repousse une pareille prétention métaphysique, qui conduit à mettre de côté le savoir pour y substituer la croyance. Il n’est que temps, dit notre auteur, de rendre à la raison théorétique ses titres séquestrés par le scepticisme kantien, et de replacer le domaine de la morale, de la religion, au cœur du monde connu par la pensée et saisi par les sens.

III. Morale. — C’est ici le chapitre du livre le plus complaisamment étudié. M. Gizycki est convaincu, et nous l’en félicitons, de la nécessité de rompre avec le dualisme de la nature et de l’esprit, et de substituer à la morale mystique de Kant et du moyen âge une théorie naturelle des actions volontaires. C’est ce que, bien comprise, permet dorénavant la doctrine de l’évolution.