Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
séailles. — philosophes contemporains

une contradiction, c’est rendre la réalité inexplicable, le progrès inintelligible ; admettre comme principe du mécanisme la finalité, compléter l’idée du mouvement par son indispensable achèvement, l’idée de direction, c’est concilier la science avec la métaphysique et du même coup donner à la première un inébranlable fondement. Ce qui inquiéterait à bon droit les savants, ce serait l’intervention inattendue d’une volonté arbitraire, produisant l’ordre par un concours miraculeux. On prévoit l’action d’une loi, on ne peut qu’attendre les décidions d’une Providence. Si brusquement l’univers peut être détourné de sa direction, tous les calculs de la science sont à refaire, chaque fois qu’il plaît à cette puissance capricieuse de donner une impulsion au monde. — Pour M. Ravaisson, le mécanisme n’est pas plus distinct de la finalité que le langage n’est distinct de la pensée qu’il exprime : le mot est nécessaire à l’idée, mais il n’existe que par et pour l’idée, et ce sont les lois de l’esprit qui font les lois des langues ; ainsi le but ne peut être atteint que par le mouvement, mais le mouvement n’existe que par le but à atteindre, et la régularité des lois ne fait que traduire les démarches de la force intelligente. Supprimer la direction, c’est supprimer le mouvement ; supprimer la finalité, c’est donc supprimer le mécanisme. « Il y a du géométrique partout, mais partout aussi il y a du moral ; » si la force motrice est l’amour du bien, et si le but poursuivi est le bien lui-même, le monde s’achemine vers le bien par la seule continuité du mouvement universel, obéissant à ses lois inflexibles, sans être détourné de sa route, sans être retardé ni hâté par l’action d’une puissance étrangère.

En résumé, l’œuvre de la science, c’est de rechercher les conditions de ce qui sera dans ce qui est, c’est de tenter l’explication universelle par un mécanisme aveugle de causes efficientes ; l’œuvre de la métaphysique, c’est de s’attacher non plus à la lettre, mais à l’esprit, c’est de lever la contradiction qui semble le principe de notre connaissance de la nature[1], c’est de se faire non plus l’ennemie, mais l’alliée de la science. Pour qu’une fin soit réalisée, il faut nécessairement que certains moyens soient employés ; il est légitime de déterminer la nature de ces moyens ; l’erreur est de croire que les moyens sont la cause de la fin pour laquelle seule ils existent. L’analyse des conditions du beau ne doit pas faire perdre le sentiment de la beauté. En réalité, comme le pensaient Aristote et Leibniz, la vraie cause efficiente, c’est la cause finale. Dans ce qu’ils affirment, les savants sont d’accord avec les philosophes, ce n’est que par leurs négations arbitraires qu’ils s’en séparent[2].

  1. Production du supérieur par l’inférieur.
  2. « Les mathématiques ne s’étendent qu’à la connaissance des quantités,