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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/386

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V


Il semble que nous ayons rempli le plan que nous nous étions tracé : le monde est un ; la philosophie, loin de se séparer de la science, la précède et la suit, la commence et l’achève. Mais, pour comprendre l’œuvre, ne faut-il pas connaître l’artiste, qui concentre tous les rayons du génie, dispersé dans ses créations ? Si le monde est un drame bien fait, où toutes choses, marquant leurs pas au rhythme d’une musique divine, unissent et mêlent leurs mouvements sans les confondre, et d’un même élan, que semble attarder parfois le caprice de leurs jeux, s’entraînent l’une l’autre vers la perfection et la beauté, c’est que Dieu est le poète. C’est sa pensée qui pense en nous, qui frémit dans tout ce qui est : car tout est âme, et toute âme est quelque chose de lui. Si Dieu s’est ainsi donné et communiqué à tous, n’est-ce pas qu’il est souverainement bon ? Nous affirmons la bonté de Dieu non pas seulement par un besoin du cœur, mais aussi en vertu de la loi d’unité, loi suprême de l’esprit, qui préside à la métaphysique et à la science. Pour que tout soit vraiment un, il faut que le monde ne soit pas séparé de son principe ; il faut qu’il y soit comme suspendu et qu’il trouve son éternel soutien dans la force attractive de son amour. Ou Dieu est présent en toutes choses par le désir qu’il suscite en elles, ou nous cherchons en vain une pensée unique qui relie les divers épisodes du poème : l’univers n’est que l’histoire sans suite des révolutions d’un État mal gouverné. L’unité pourrait venir de la contrainte, mais la tyrannie ne met entre les êtres qu’une unité apparente qui cache mal la lutte et l’effort pour se séparer ; seule la bonté absolue, seule la bonté suprême, par l’amour spontané qu’elle éveille en tout ce qui est, peut devenir l’âme unique du grand être que forment par leur union les citoyens de l’universelle patrie. Le Dieu de l’esprit humain n’est pas le Dieu cruel et fort de Michel-Ange, c’est le Dieu bon de la fresque de la Magliana, qui, se penchant vers les choses d’en bas, y jette un regard où l’indulgence se mêle au reproche, le regard d’un père à son fils, qu’il voit faiblir. C’est sans doute quand il se tourne ainsi vers l’univers, qu’il lui imprime une nouvelle secousse d’amour, un nouvel élan vers la perfection.

L’unité n’est pas encore pleinement atteinte. Sans doute le monde a sa cause et sa fin en Dieu, mais il semble un être distinct, une

    mais elles ne s’inquiètent point de la qualité, laquelle est la beauté des ouvrages de la nature et l’ornement du monde. » (Léonard de Vinci, cité par M. Ravaisson, Rapport sur l’enseignement du dessin, p. 9.)