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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS



Johannes Hüber. Der Pessimismus. 1876. München. Ackermann.

Le pessimisme, tel que nous le montre M. Hüber, n’est pas tant une doctrine philosophique qu’une maladie morale : une doctrine se transmet à travers les générations des hommes qui pensent, s’enrichissant chaque fois qu’elle traverse un grand esprit ; elle a son histoire et son progrès. Le pessimisme, lui, ne change pas ; il reparaît par accès, dès que de certaines circonstances le provoquent, et suit alors un cours invariable. La meilleure critique qu’on en puisse faire, c’est d’en décrire les retours périodiques, les symptômes, l’évolution uniforme. On en découvre ainsi le principe (qui serait mieux nommé encore la cause), et du même coup le remède.

Le pessimisme n’est point la philosophie de ceux qui souffrent, du moins de ceux qui souffrent des douleurs imméritées, et que le sort frappe : quand un homme, quand un peuple lutte contre le destin, il ne se lamente pas ; il fait de la destruction du mal sa lâche, il combat en chantant : la gaîté sied aux héros. C’est l’excès de la prospérité qui fait les pessimistes. Au milieu de leurs tribulations, les Juifs jamais ne désespèrent ; ils croient à l’avenir qui leur fut promis. Dans la souffrance, dans l’abaissement, dans l’abandon, Job se fie en la justice divine : que Dieu l’entende seulement, et Dieu le délivrera[1] ! Au mo-

  1. M. Bahnsen, à la suite de M. Grau, donne au contraire une interprétation toute pessimiste de Job. Selon lui (Das Tragische als Weltgesetz, p. 19-22), le malheur de Job est immérité et absolument mystérieux : on n’en peut trouver qu’une raison et qu’une justification, c’est que Job est homme de bien et que la loi de l’Univers se nomme Injustice et Déraison. Ainsi, le peuple juif aurait eu le pressentiment de la vérité pessimiste par excellence. — M. Hüber n’est-il pas plutôt dans le vrai ? Le malheur de Job est bien un mystère, mais pour Job seul ; le croyant, à qui Job est proposé en exemple, sait, par le Prologue, que Dieu veut éprouver Job, savoir si Job lui est soumis entièrement, car toute vertu, dans le judaïsme, se ramène à cela. Assurément, ce n’est pas là une conception irréprochable de l’équité, puisque c’est la volonté impénétrable et, pour parler net, le caprice de Dieu, qui fait le juste et l’injuste ; Dieu, dans son discours à Job, n’a qu’un argument à la bouche : c’est qu’il est le plus fort ; c’est que, ayant créé le Béhémoth et le Léviathan, devant qui l’homme, épouvanté, demeure muet, il a le droit d’exiger qu’on ne raisonne point avec lui, « qu’on ne le prenne point à partie. » Elihu dit : « Voici, Dieu est élevé par sa puissance. Est-il un maître pareil à lui ? Qui lui prescrira ses voies ? qui