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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/498

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défie de lui-même, surtout lorsqu’il débute dans la science. Poser le doute préalable comme le fondement de la vraie méthode, c’est multiplier les chances d’erreur et d’hérésie. Assurément, si l’on est avancé dans la science, on peut, dans un certain nombre dé questions, douter de la parole d’autrui et demander à voir par soi-même. Mais quand on commence, on doit faire « comme les petits chiens » et voir par les yeux des autres avant de voir par les siens propres[1]. Voyons donc d’abord à la lumière de l’Évangile, puisque c’est faute de cette lumière que les malheureux gentils sont tombés dans tant d’erreurs.

Sur la nature de l’âme humaine, il est deux propositions fondamentales qu’il faut maintenir aussi fermement l’une que l’autre : l’âme est immortelle, et elle est unie au corps comme la forme informante à sa matière. Jamais une même secte, dit notre philosophe, n’a observé ces deux vérités à la fois. Platon reconnaît la première, mais non la seconde, puisque, suivant lui, l’âme est seulement assistante dans le corps comme un cocher dans son char. Épicure reconnaît la deuxième, mais nie la première. Aristote enseigne qu’il y a trois âmes, une âme végétative, une âme sensitive, une âme rationnelle, la troisième seule étant immortelle, mais venant du dehors et ne faisant aussi qu’assister dans le corps comme un pilote dans son navire. Encore Aristote croit-il que cette âme immortelle est une et unique pour tous les hommes, présents, passés et à venir ; et c’est ce qu’il appelle l’intellect agent, doctrine dont le commentaire d’Averroès a bien montré l’erreur monstrueuse et les dangers[2]. Maintenir que l’âme de chaque homme est immortelle, c’est là une vérité si visiblement liée au dogme chrétien, que Thomasius trouve superflu d’insister. Quant à l’autre proposition, il y revient plus fréquemment et il la développe avec plus de soin, mais en répétant toujours à peu près les mêmes arguments : il faut bien qu’il en soit ainsi pour expliquer la résurrection de la chair, non moins que pour rendre compte de la transmission de la tache originelle ; si la faute d’Adam exerce son action sur les âmes de sa postérité par la génération des corps auxquels ces âmes sont unies, si d’autre part la théologie nous enseigne que les corps doivent ressusciter et que l’ordre établi de Dieu le veut ainsi, c’est bien que, dès cette vie même, il y a entre le corps et l’âme une relation très- étroite et que dans le mode d’existence qui

  1. De Thoma incredulo et cautione credendi philosophica, præfatio habita thesi de visu talparum, 1657. Dans ce passage, Thomasius fait une allusion très-claire à Descartes, et il le nomme même, en note, en ajoutant : « quousque jam paulatim hæ dubitationes processerint, res nimirum ipsa loquitur »
  2. De tribus in uno homine animabus, præmissa disputationi de virtutibus cardinalibus, 1665.