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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/499

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joly. — la jeunesse de leibniz

nous est propre, aucun des deux n’est ce qu’il est sans le concours de l’autre. Ceux qui connaissent l’histoire du cartésianisme, de ses luttes et de ses persécutions, savent que d’un bout de l’Europe à l’autre, c’est là tout à fait l’argumentation qu’on dirigea contre Descartes. On vit dans son système un spiritualisme exagéré, n’expliquant plus ce qu’on croyait toute philosophie tenue et obligée d’expliquer. C’est particulièrement pour sauver l’explication philosophique de ces deux dogmes, que beaucoup de philosophes croyaient devoir maintenir la théorie des formes substantielles ; et c’est uniquement dans cette mesure et en vue de cette nécessité, que Thomasius, peu attaché d’ailleurs à la scolastique, esclave du pape et d’Aristote, resta lui aussi fidèle à cette théorie.

Ajoutez à ces deux propositions les suivantes : que l’âme ne vient pas de la matière, qu’elle n’est pas non plus coéternelle à Dieu, que Dieu peut l’avoir tirée ex nihilo, mais que probablement, chez les descendants d’Adam, l’âme de chaque homme lui est transmise ou traduite de l’âme de ses parents, vous aurez, à peu de chose près, l’ensemble de l’enseignement de Thomasius sur l’âme humaine, tel que les præfationes nous le donnent à connaître. Il ne restera qu’à dire un mot de ses idées sur les rapports de l’âme avec Dieu.

De même que l’âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l’âme, et la mort de l’âme, c’est la séparation d’avec Dieu… Il n’y a ici rien de bien saillant. Là où Thomasius insiste avec plus de force, c’est quand il est question de la Providence et des limites que quelques philosophes prétendent imposer à son action. Foin de ces fauteurs de paganisme qui craignent que Dieu ne suffise pas à tout ordonner, qui veulent le faire agir comme un roi agit par ses satrapes et ses ministres, et redoutent d’abaisser sa majesté ! Il ne suffit pas que la nature ait reçu de lui la puissance qu’elle manifeste dans l’espace et dans le temps. Il faut qu’il soit bien entendu que l’action de Dieu reste toujours incessante. « Equidem non abnegatam volumus hoc pacte naturæ potentiam, sed hoc contendimus nihil eam nisi cum Deo operari, ex quo et hoc ipsum accepit ut operari possit. » Mais voici venir un point plus délicat : l’homme est-il, en cela, distinct de la nature ? En quoi et dans quelle mesure est-il le maître de son action ? Evidemment, Thomasius craint mille fois plus d’affaiblir l’idée de la toute-puissance divine que celle de notre libre arbitre. « Nobis qui christiani sumus, dubium esse nullum débet quin Deus gloriosus impleat universa et dirigat singula, qui omnia operatur in omnibus[1]. » On voit quelle est l’énergie voulue et cherchée

  1. De cooperatione Dei cum causis secioidis naiurnliter agentibus, præmissa dispulationi : contra gentiles Deum cœlo alligantes (1645).