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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/56

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représentations, qui doivent leur forme à l’organisation psychophysiologique du sujet et leur matière aux affections du même sujet, sans que nous puissions rien savoir de la cause de ces affections, la chose en soi, sans que nous soyons seulement en état de décider si elle existe indépendamment de l’esprit ou dans l’esprit lui-même, si elle est une ou plusieurs.

La théorie de la connaissance métaphysique n’est pas moins différente chez nos trois auteurs que celle de la connaissance scientifique ou expérimentale. Il n’y a pas, suivant Dühring, à distinguer entre le monde des phénomènes et celui des noumènes. La connaissance et la réalité tombent tout entières sous la prise des sens et de l’entendement. La faculté prétendue supérieure, qu’on décore du nom de raison, n’est, sous un déguisement mensonger, que l’imagination en délire des métaphysiciens. Elle ne saisit, dans ses intuitions transcendantes, que les rêves de leur cerveau malade. Il n’y a d’autre réalité que celle que touchent nos sens, que mesure et qu’explique notre entendement, ou celle que l’imagination du philosophe et du savant, dans ses hypothèses toujours respectueuses de l’expérience, se hasarde à pressentir : il n’y a d’autre réalité que la réalité matérielle. — La métaphysique de Hartmann prétend bien ne pas se séparer de la science et ne tenter qu’une explication spéculative des données de l’expérience, que traduire dans le langage propre à la métaphysique les résultats obtenus par la méthode inductive. Mais cette traduction répond à un besoin légitime et impérieux de la pensée humaine ; mais les vérités de la science, envisagées à la clarté des intuitions métaphysiques, revêtent un sens plus profond et plus vrai, non pas opposé, mais différent. Le métaphysicien, chez Hartmann comme chez Platon, voit les choses dans leur rapport avec l’absolu, avec la raison et la volonté éternelles. Il croit parvenir à démêler ainsi ce qui se cache de divin sous leurs formes mobiles et imparfaites, et les surprendre dans la vérité de leur essence. Elles ne sont pour lui, comme pour Spinoza, comme pour Hegel, que des modes éphémères, que des moments de la substance et de la vie universelles. Il en saisit l’enchaînement et l’harmonie à la lumière des grands principes de l’analogie, de la continuité, de la raison suffisante. Sans doute, le pessimisme de Hartmann aboutit à des conclusions bien différentes de celles de la plupart des grands métaphysiciens du passé. Mais ce sont les mêmes principes, la même méthode qu’il entend bien appliquer. Son originalité est de faire entrer dans ses constructions spéculatives les matériaux accumulés depuis un demi-siècle par les sciences de la nature ; et son pessimisme lui-même veut tirer toute son autorité des données de l’expé-