Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
646
revue philosophique

et si son histoire est celle de sa restauration lente et continue, pourquoi les mille phases de l’évolution des espèces ne seraient-elles pas les différents stades de cette restauration ?

Citons, en terminant, un fait rapporté par M. Secrétan et qui ne manquera pas d’intéresser ceux qui, même dans les ouvrages de spéculation pure, se plaisent à trouver quelque contribution à la science expérimentale. « Je rencontrai, dit-il, il y a vingt-cinq ou trente ans, sur les bords du lac de Genève, un médecin dont le caractère et la parfaite honorabilité me sont bien connus. Il me raconta, non sans quelque émotion, que, le matin même, il avait délivré une femme d’un enfant mâle auquel il avait amputé une queue. Cet organe était nourri, me dit-il, par une si forte artère, qu’il serait nécessairement devenu un membre fort volumineux. Le praticien ne me fit pas voir une rareté qu’il ne s’était probablement pas cru libre de conserver ; il refusa de citer aucun nom propre, dans la crainte du ridicule qui pourrait s’attacher pour l’homme fait à la notoriété d’une particularité si frappante. Je n’ai donc d’autre garant que ses récits, comme vous n’en avez d’autre que ma parole ; mais le fait est parfaitement certain pour moi. »

Z.


Guyau : La Morale d’Epicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines. Paris, Germer Baillière (fin)[1].

Dans son histoire de l’épicurisme moderne, M. Guyau nous fait suivre, à partir de Gassendi, qui restaure simplement la doctrine, les transformations successives qu’elle subit entre les mains de Hobbes, de La Rochefoucauld, de Spinoza, d’Helvétius et des principaux philosophes du xviiie siècle. Il nous la montre se corrigeant, se complétant et parfois se dépassant elle-même, et, dans tous ses développements, faisant effort pour rester fidèle à son principe et conserver son unité. Ici encore se retrouve ce même art d’exposition qui donne aux systèmes les plus connus et souvent les moins compris une physionomie vivante et nouvelle. On en verra des exemples dans les chapitres consacrés à Hobbes et surtout à La Rochefoucauld, dont l’auteur résume et systématise la doctrine avec une pénétration et une force peu communes. À ses yeux, La Rochefoucauld est le psychologue de l’utilitarisme moderne ; Hobbes en est le sociologiste. Le philosophe anglais a transporté dans la science sociale la méthode des démonstrations géométriques. En faisant de l’état de guerre l’état primitif de l’humanité, il a pressenti la théorie darwinienne de « la lutte pour la vie » ; il a repris et développé la théorie épicurienne du contrat social que Rousseau lui-même prendra plus tard pour fondement de tout son système. Seulement, la néces-

  1. Voir le numéro précédent de la Revue philosophique, p. 513.