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porter immédiatement aux formes antérieurement perçues. C’est ainsi par exemple qu’un sourd de naissance qui recouvrirait l’ouïe distinguerait bien le son du tambour du son de la trompette, mais ne pourrait dire tout de suite quelle est la trompette, quel est le tambour. On ne voit pas trop ce que l’on peut conclure de là.

La même confusion a lieu dans la question qui nous occupe. En tant que la distance signifie la possibilité d’un certain mouvement pour aller du point où nous sommes au point éloigné, la vue ne nous suggère rien de semblable, puisque, pour la vue, ce point éloigné est donné en même temps que le point proche : les deux notions ne peuvent donc pas coïncider ; mais cela prouve seulement que la vue n’est pas le tact, et non pas que la vue n’ait pas sa perception propre de la distance qui s’éclaircira avec l’expérience, mais qui n’en est pas moins pour elle, selon l’expression d’Aristote, un sensible propre.

Dans la plupart des observations rapportées, c’est toujours la même difficulté qui est constatée, à savoir la difficulté de rapporter les notions de la vue à celles du toucher. Dans l’observation de Wardrop, qui est citée tout au long par Helmholtz, la dame qui avait été le sujet de l’opération (à quarante-six ans) « paraissait stupéfaite de ne pas pouvoir combiner les perceptions du toucher avec celles de la vue et se trouvait désappointée de ne pouvoir pas distinguer immédiatement par la vue des objets qu’elle distinguait si facilement par le toucher… Elle vit une orange sur sa cheminée ; mais elle ne put pas se figurer ce que c’était avant de l’avoir touchée. » Ces faits s’expliquent naturellement d’après les observations précédentes ; mais qu’on relise avec soin, et tout entière, l’observation de Wardrop, on n’y trouvera pas la moindre preuve que la malade opérée ait jamais vu les objets sur un plan.

Dans l’observation de Ware, rapportée par Dugald Stewart, l’enfant opéré (il avait sept ans) apprit très-vite et très-facilement les distances ; et même, ce qui est plus remarquable, il distinguait la nature et la couleur des objets : mais, comme le fait observer D. Stewart, cela prouverait simplement que l’enfant n’était pas complètement aveugle, ce qui était vrai ; et en effet, il est rare, en cas de cataracte congéniale, que la cécité soit absolue. Le malade connaît, au moins la plupart du temps, la différence de la lumière et de la nuit : et par conséquent il doit avoir déjà une certaine notion de distance même par la vue, ce qui prouve combien ces expériences sont peu significatives. Il en était de même d’un autre enfant, sourd et aveugle, opéré encore par Wardrop, dont D. Stewart nous rapporte l’histoire dans le plus grand détail, en avouant que « ce cas ne