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dastre. — le problème physiologique de la vie

infatigables. Si l’on songe que l’Iliade, au dire de Malgaigne, contient déjà « une très-belle anatomie des régions », on comprendra l’illusion de ceux qui, au temps de Bichat, après tant de travaux, et surtout après les immenses progrès réalisés par les observateurs du xviie et du xviiie siècle, pouvaient croire la tâche de l’anatomie bien près d’être achevée. En réalité, cette tâche commençait à peine puisqu’on ne connaissait rien de la structure intime des organes. Bichat fit une révolution quand il décomposa le corps vivant en tissus. Ses successeurs, faisant un pas de plus dans l’analyse, dissocièrent les tissus en éléments et ramenèrent à leur tour ces éléments, qu’on a pu croire infiniment variés, à un prototype commun, la cellule. Le corps vivant, désagrégé par l’histologiste, se résout sous le microscope en une poussière dont chaque grain est la cellule ou élément anatomique identique d’un être à l’autre, d’une partie à l’autre du même être. Partout, il est composé d’une substance granuleuse, semi-fluide, mélange d’albuminoïdes présentant des caractères assez constants ; appelée par le plus grand nombre des anatomistes protoplasme, ou bioplasme par Beale et considérée par Huxley comme « la base physique de la vie. » Jetée dans différents moules, entourée d’une enveloppe, munie d’un noyau, la matière protoplasmique constitue la base de toute organisation animale ou végétale.

Plus récemment, les études embryogéniques ont appris que tous les êtres sortent d’un corpuscule de ce genre et qu’en remontant dans l’histoire de leur développement, jusqu’à la période la plus reculée, on trouve originellement une cellule identique, le protovum : vérité que l’on exprime en changeant un mot dans l’aphorisme célèbre de Harvey : Omne vivum e protovo. Les myriades d’éléments anatomiques différenciés qui s’assemblent pour constituer un organisme sont la postérité de cet ovule primordial. En sorte que l’animal ou la plante, au lieu d’être une unité indivisible, est « une multitude », selon la propre expression de Gœthe méditant en 1807 les enseignements de Bichat, et, suivant le mot non moins juste de Hegel, « une nation » ; c’est la population issue d’un ancêtre commun, dont la légende du peuple sorti d’Abraham offrirait une image fidèle. Les leçons de Cl. Bernard et de Virchow ont vulgarisé cette notion au point d’en faire une banalité insupportable, si elle n’était sauvée par son importance capitale.

Nous nous représentons maintenant l’être vivant complexe, animal ou plante, avec sa forme qui le distingue de tout autre, comme une cité populeuse que mille traits distinctifs séparent de la cité voisine. Les habitants de cette cité sont indépendants et autonomes au même titre que les éléments anatomiques de l’organisme : les uns