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pratique, cette part n’avait pas de limite fixe. Le gouvernement pouvait la transférer à un individu, qui dès lors se trouvait investi du droit de perception des impôts et des autres droits de l’État, mais non des droits des particuliers attachés au sol. Ces droits privés étaient de divers genres. Les cultivateurs actuels, ou ceux d’entre eux qui avaient été longtemps fixés sur le sol, avaient un droit à en garder la possession ; il était illégal de les en chasser tant qu’ils payaient la rente ; et cette rente en général n’était pas fixée par un accord, mais par la coutume locale : entre les cultivateurs et l’État, ou entre le substitut auquel l’État avait transféré ses droits, il existait des intermédiaires ayant des droits plus ou moins étendus. Il y avait les officiers du gouvernement qui percevaient la part de l’État sur le produit de districts quelquefois très-vastes. Bien que tenus de transmettre au gouvernement tout le produit de leurs perceptions, après en avoir déduit un tant pour cent, ils étaient souvent investis de cette charge par droit d’hérédité. Il y avait aussi des communautés de villages composés des descendants prétendus de leurs premiers habitants, qui se partageaient entre eux soit la terre, soit les produits suivant des règles établies par la coutume, qu’ils la cultivassent eux-mêmes ou qu’ils employassent d’autres individus à leur place. Les droits de ces membres de communautés de villages se rapprochaient beaucoup plus de ceux d’un propriétaire foncier, au sens qu’on y rattache en Angleterre, que ceux d’aucune autre partie intéressée. Seulement le droit de propriété du village n’était pas individuel, mais collectif ; il était inaliénable et réglé par des lois fixes (les droits des membres individuels ne pouvant être vendus ou hypothéqués qu’avec le consentement de la communauté). En Europe, au moyen âge, presque toute la terre était tenue par la grâce du souverain, à condition de services militaires ou agricoles. Même aujourd’hui, en Angleterre, où les services aussi bien que les droits réservés du souverain sont depuis longtemps tombés en désuétude ou se sont commués en impôts, la théorie de la loi ne reconnaît à personne un droit absolu de propriété sur la terre. L’individu qui est le plus pleinement propriétaire aux yeux de la loi, le freeholder, n’est qu’un tenancier de la couronne. En Russie, même lorsque les cultivateurs du sol étaient serfs du propriétaire foncier, les droits de propriété de ce dernier sur la terre se trouvaient limités par les droits des serfs que ceux-ci possédaient comme corps collectif gérant ses propres affaires, et le propriétaire n’y pouvait intervenir. Dans la plupart des pays de l’Europe continentale, quand le servage fut aboli ou tomba en désuétude, ceux qui avaient cultivé la terre en qualité de serfs demeurèrent en possession de droits, aussi bien que soumis à des