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regnaud.études de philosophie indienne

s’accomplir sans qu’on puisse être taxé d’activité[1] et que l’acte produise des effets ; et quant aux actes qu’on a accomplis activement, pour ainsi dire, quand on était au pouvoir de l’ignorance, ils se dissipent par l’effet de la vraie science dès que l’ignorance a disparu[2]. C’est seulement ainsi, d’ailleurs, que la délivrance est possible, car, les œuvres s’enchaînant indéfiniment, il faut qu’elles s’évanouissent subitement par l’effet de la science pour que la délivrance s’accomplisse.

Les mérites et leurs effets disparaissent ainsi que les fautes, d’après le Sûtra suivant (iv, 1, 14), au moment où a lieu la délivrance. La raison en est que le fruit des mérites, s’il subsistait quand la délivrance se produit, ferait obstacle au fruit de la science[3], le seul désormais qui doive s’accomplir.

La délivrance suspend définitivement (Sûtra iv, 1, 15) les effets non commencés des œuvres, mais elle laisse s’achever les effets qui sont en cours d’exécution, tels par exemple que la vie d’ici-bas, qui n’est que la conséquence non terminée d’œuvres antérieures. S’il en était autrement, aussitôt la science acquise, le corps périrait. Demandera-t-on comment il peut se faire que la connaissance de ce fait que l’âme n’est pas agent a pour conséquence de supprimer telles œuvres et de laisser opérer l’effet de telles autres, tandis que si l’on jette au feu la semence d’une plante sa puissance productrice se détruit dans tous les cas[4] ? Les Védântins répondent : La science ne peut prendre naissance qu’au sein de l’effet en cours d’exécution que l’œuvre laisse après elle (les attributs corporels dont est douée l’âme individuelle). Or cet effet, même après l’avènement de la science, continue de s’exercer, comme le mouvement de la roue du potier, par suite de l’impulsion acquise. Le fait de savoir que l’âme n’est pas agent a bien pour conséquence de détruire l’œuvre en détruisant la fausse science ou l’ignorance, mais l’œuvre n’en poursuit pas moins ses effets pendant quelque temps encore, grâce au ressort de l’énergie propre dont elle est douée.

Les Sûtras iv, 1, 16-17, traitent un point fort intéressant de la doctrine. Ils ont pour objet d’établir que les conséquences du sacrifice perpétuel (agnihotra) se confondent avec ceux de la science

  1. Agâmishu karmasu kartrtvam eva na pratipadyate brahmavit.
  2. Atikrânteshu tu yady api mithyâjñânât kartrtvam pratipeda iva tathâpi vidyâsâmarthyât mithyâjñânanivrttes tâny api pralîyante.
  3. Tasyâpi (punyasya karmanah) svaphalahetutvena jñânaphalapratibandhitvaprasangât.
  4. On s’expliquera cette comparaison si l’on sait que l’enchaînement des œuvres et de leurs effets est constamment assimilé à celui de la plante et du germe dont elle est issue.