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Son influence n’en demeura pas moins très-grande à Kœnigsberg, et il est permis de croire que son crédit, non moins que sa sollicitude, ne fit pas défaut à son ancien élève, lorsque celui-ci vint en 1755 se faire recevoir docteur et débuter dans l’enseignement à l’Université de Kœnigsberg. Nous savons qu’il le fit venir auprès de lui et lui promit son concours, lorsque Kant, en 1758, brigua la succession de Kypke au titulariat de la chaire de mathématiques et de philosophie. Un candidat plus ancien fut préféré, et Kant ne put se faire nommer qu’en 1770 à l’emploi qu’il recherchait. Il n’est pas sans intérêt de rapporter ici un détail significatif de l’entrevue que Kant et son ancien maître eurent à cette occasion. Au témoignage de Borowski, Schultz aurait, entre autres questions, demandé à Kant s’il craignait Dieu sincèrement (Fürchten sie auch Gott von Herzen ? )[1]. Quel que soit exactement le sens de cette question dans la pensée de Schultz, elle suffit à montrer qu’il avait bien le sentiment du changement survenu dans les opinions religieuses de son élève. L’entrevue néanmoins témoigne de l’intérêt persistant qu’il continuait de lui porter et que rien ne refroidit sans doute jusqu’à sa mort, survenue en 1763.

Kant, de son côté, ne cessa jusqu’à sa dernière heure de manifester envers son premier maître les sentiments de la reconnaissance et de la piété les plus vives. « Schultz était, aux yeux de Kant, selon les propres paroles de Borowski, parmi les premiers et les plus éminents des hommes. » Peu de temps avant sa mort, il souhaitait « de pouvoir élever un monument à la mémoire de ce noble, de ce grand homme, ou du moins de le voir élever par d’autres mains. »

Et pourtant ce n’est qu’aujourd’hui, grâce au zèle intelligent de l’auteur de Martin Knutzen, que ce vœu du grand philosophe a reçu véritablement satisfaction. Les patientes recherches de M. Benno Erdmann nous mettent en état de mesurer la part qui revient à Schultz dans l’éducation de l’âme et du génie de Kant.

Il ne peut être question, sans doute, de retrouver dans les conceptions philosophiques de Kant la trace des idées de Schultz. Ce n’est pas sur le théoricien, c’est sur l’homme que s’est exercée faction de ce dernier. La personnalité morale de Kant porte l’empreinte irrécusable de son premier maître. Nous découvrons entre eux des affinités de caractère, à défaut des ressemblances de doctrines : et combien les premières sont plus importantes que les autres chez un philosophe tel que Kant ! N’est-ce pas l’originalité de son système de

  1. B. Erdmann, M. Knutzen, p. 46.