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raison même, possédait les conditions nécessaires d’une existence durable. La philosophie de Herbart ne se produit pas d’une manière aussi brillante que celle de ses contemporains. Tandis que ces derniers inventaient sans relâche de nouvelles méthodes de spéculation et, se complaisant dans les contradictions, étaient arrivés à des principes suprêmes qu’ils considéraient comme la plus fidèle expression de l’essence de l’être, parce que ces principes étaient contradictoires en eux-mêmes ; Herbart, dont l’esprit s’était formé à l’étude de la mathématique et s’était pénétré de la grandeur et de l’importance de cette science, ne concevait même pas comment une solution d’un problème aussi bien philosophique que mathématique pouvait renfermer des contradictions, sans cesser pour cela même d’être juste. Loin de nier cependant que les questions philosophiques en soient exemptes, il considérait les contradictions comme un point de départ, comme une sorte d’aiguillon pour la spéculation. Pour les idéalistes transcendants, en commençant par Fichte, qui avait élevé au rang d’une loi fondamentale de l’être la théorie de la destruction des limites, jusqu’à Hegel, qui voyait l’essence même de l’être dans le passage continuel d’un extrême à l’autre, la mutabilité était devenue la catégorie la plus générale de toute réalité. Rien n’est stable, selon eux, dans le monde, sinon ce seul fait que tout change incessamment. Cette apothéose de la mutabilité et du néant ne pouvait satisfaire un esprit tel que Herbart. Au milieu de cette soif générale de changement, au milieu de ce chaos d’idées qui en résulta, Herbart aspirait à quelque chose d’immuable et de fort. Combien de fois ces aspirations ne se traduisent-elles pas dans les lettres qu’il adresse à ses amis ! « Il faut, écrit-il, qu’il existe quelque chose de durable, un but vers lequel tende le bon vouloir inconscient d’un chacun ; il faut qu’il y ait une communauté d’idées et de sentiment qui mène à lui tout en se manifestant séparément dans chacun de nous ; seulement, ajoute-t-il, il ne lui arrive pas toujours de choisir la direction véritable[1] ! »

Herbart se mettait à la recherche de cet élément stable qu’il devinait être le fond de toute chose ; et, tandis que ses contemporains semblaient vouloir illustrer le principe de la mutabilité en transformant ou détruisant sans cesse leurs propres idées, il travaillait ardemment en silence et ne communiquait à personne les conquêtes de son esprit, tant qu’elles n’avaient acquis une forme de l’immutabilité dans l’individualisme, et c’est sur ce point surtout qu’il rompit avec l’idéalisme de son époque, ce dernier ayant complètement noyé

  1. Ungedruckte Briefe von und an Herbart aus dessen Nacklass herausgegeben von Robert Zimmermann. Vienne, 1877, page 25.