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reinach.le nouveau livre de hartmann

qui ne trouve d’ailleurs un semblant de démonstration que dans les dernières pages du livre, est invoqué dès les premières pour la réfutation de la morale du plaisir. Comme la conscience éclairée de l’homme moderne rejette cette morale, dès qu’elle en aperçoit les conséquences logiques, Hartmann conclut prématurément que le pessimisme est exigé par la moralité. Nous verrons bientôt que cette assertion est complètement erronée, et que l’aversion de la conscience pour la doctrine de l’égoïsme a sa raison dans un postulat tout différent : le pessimisme ne peut point servir à réfuter cette doctrine. Mais on comprend sans peine que, en vue du résultat final qu’il poursuivait, notre philosophe ait préféré une interprétation forcée des faits à une appréciation plus judicieuse, qui ruinait l’un des fondements du système.

Il en va de même de la métaphysique moniste. Nous voyons bien que la conclusion où tendait l’auteur exigeait que le panthéisme eût été admis au préalable, mais la conscience n’est pour rien dans cette hypothèse gratuite. Hartmann soutient, d’après Schopenhauer, que la conscience rejette une métaphysique pluraliste, parce que celle-ci ramène toute réalité et par suite toute finalité à l’individu. Cette assertion est vraie quant à la réalité, fausse quant à la finalité. D’après les meilleurs philosophes pluralistes, les individus constituent les seules unités de fait, mais ils peuvent s’élever à la conception d’unités idéales supérieures, et la morale consisterait précisément à réaliser ces unités. Nous ne voulons pas décider ici entre les mérites respectifs du panthéisme et du pluralisme, mais il sera permis de remarquer qu’au regard de l’éthique la seconde doctrine présente un avantage signalé sur la première : la morale pluraliste a un caractère vraiment pratique, elle crée quelque chose de nouveau ; la morale du monisme est purement spéculative, puisque l’Être universel s’achemine vers ses fins, que les individus le veuillent ou non.

Ces observations infirment les déclarations de M. de Hartmann sur l’article de la méthode. C’est à tort qu’il nous assure que la marche adoptée par lui « s’est imposée à lui sans effort (ungesucht), d’après la nature même du sujet » ; c’est à tort qu’arrivé à son dernier chapitre il prétend « que, quelque jugement qu’on porte sur ses conclusions dernières, les résultats précédemment acquis conservent leur valeur, puisqu’ils ont été le fruit de l’induction. » Cela pourra être vrai accidentellement pour quelques points de détail, mais non pour les questions de principes. Puisque l’hypothèse métaphysique de l’auteur sert, comme eût dit Claude Bernard, d’idée directrice à toute cette évolution de la conscience, il serait parfaitement déraisonnable de tirer un argument quelconque d’une coïncidence pré-