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tive et illusoire reste en ce moment en dehors de nos recherches. » (318.)

Arrêtons-nous ici : nous possédons maintenant toutes les pièces nécessaires pour juger cette doctrine. Il y a entre Kant et M. de Hartmann cette différence remarquable que Kant postule en quelque sorte l’idée du devoir, tandis que M. de Hartmann en postule le sentiment. Kant soutient que la loi doit nous déterminer à l’action par le concept même qu’elle renferme ; M. de Hartmann croit que l’idée du devoir doit, comme toutes les autres idées, pour agir sur notre volonté, prendre la forme d’un sentiment ; suivant l’un, le sentiment du devoir, quoique réel, est un moment accessoire et, au fond, étranger à la moralité ; l’autre n’est pas éloigné de faire consister la moralité tout entière dans ce sentiment. On ne saurait imaginer de contraste plus tranché.

Il ne faudrait pas croire qu’il n’y ait là qu’une chicane de mots : en vérité, le caractère de la morale tout entière y est engagé. Une fois en possession de l’idée du devoir, Kant en déduit immédiatement la formule de la loi morale qu’exige cette idée ; il est impossible après lui avoir accordé le premier point de contester le second ; mais on peut fortement mettre en doute, avec Schleiermacher et d’autres critiques, que cette formule même soit autre chose qu’une enveloppe sans contenu. Hartmann, au contraire, nous fournit bien un contenu, mais l’enveloppe manque. Il part du sentiment du devoir ou de l’obligation ; or le sentiment est un fait d’expérience sur lequel on ne raisonne pas ; il est ou il n’est pas, et, s’il est, on doit le prendre tel qu’on le trouve avec ses exigences, ses caprices, ses intermittences, etc. Partant, quelle que soit la loi à laquelle on arrive en fin de compte, cette loi ne pourra être reconnue comme obligatoire que si le sentiment (et non la raison) l’estime telle, la sent telle : la raison ne peut. être juge et partie dans sa propre cause.

Nous avons peine à comprendre le renvoi aux développements ultérieurs indiqué dans la note que nous avons citée. Dans tout le reste du livre, pour parler comme M. de Hartmann, on ne se meut plus que sur le terrain de la raison. Supposons que la raison nous révèle l’existence des fins dans la nature, qu’elle nous enseigne que la fin de l’individu inférieur est le bien de l’individu immédiatement supérieur, que la fin ultime de l’homme est le bien de l’univers, que ce bien consiste dans l’anéantissement général de l’être, etc. Toutes ces connaissances sont de nature purement spéculative ; y trouve-t-on l’ombre d’une obligation ? Serait-ce dans la théorie de la finalité qu’on découvre la justification du caractère impératif de la loi ? Il eût été bon d’abord que l’auteur énonçât avec quelque clarté ce qu’il