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reinach.le nouveau livre de hartmann

entend par une fin. L’explication qu’il donne de ce mot est peu intelligible : « La fin est le logique dans sa sollicitation par l’illogique, ou l’idée dans sa réalité et comme contenu d’une volonté qui la réalise à l’aveugle[1]. » Mais si, au lieu de se tenir servilement à la lettre de cette définition, on s’attache à l’esprit du développement qui la renferme, on reconnaîtra que la fin est pour Hartmann, comme pour Kant, la détermination des parties par un tout ; seulement, tandis, que Kant n’accordait au principe de finalité que la valeur d’un principe régulateur de nos connaissances, Hartmann est pénétré de la réalité objective des lins et ne cesse d en accumuler les exemples dans la Phénoménologie, comme dans la Philosophie de l’inconscient.

Ainsi l’étude des fins constitue une recherche exclusivement théorique, et il reste toujours à savoir comment et pourquoi le concept du devoir s’attache à la finalité en général, ou à telle fin en particulier. Hartmann répond pour le premier point que la raison est « la seule faculté qui s’attribue un pouvoir législatif inconditionnel ». Mais cette réponse est un sophisme et renferme précisément la confusion entre l’obligatoire et le nécessaire que Hartmann, après Schopenhauer, reproche à Kant. La raison prescrit ce qui est et non pas ce qui doit être, et ce n’est pas seulement le langage vulgaire qui a toujours établi un rapprochement entre la loi du devoir et les lois positives de nos sociétés humaines : si la loi morale n’était pas, comme ces dernières, susceptible d’être violée, il serait extrêmement ridicule d’en recommander l’observation, puisque, de fait, nous nous y conformerions toujours. Imagine-t-on un moraliste qui prescrirait aux hommes d’obéir aux lois de la gravitation ? M. de Hartmann n’en est heureusement pas là ; il admet qu’il est possible de violer la loi, et qu’elle est violée tous les jours. À la vérité, dans le chapitre ingénieux qu’il appelle sa Cacodicée, il cherche à prouver que le mal profite toujours (médiatement) à la cause du bien, soit en le stimulant par la résistance, soit en se détruisant par sa folie ; mais il n’en conclut pas moins qu’il faut se ranger du côté du bien. Or, pour fonder cette obligation, il ne suffit évidemment pas de dire que le bien est identique à la fin, ni que la cause du bien a besoin pour triompher de plus de facteurs positifs que de facteurs négatifs.

Si le concept de finalité en général ne couvre pas le concept d’obligation, peut-être la forme particulière que lui donne notre philosophe sera plus satisfaisante. Le panthéisme nous révèle en chacun de nous une double nature ; nous vivons à la fois d’une vie indivi-

  1. Phénoménologie, p. 546.