Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/606

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
600
revue philosophique

indique les distances, rend visibles les profondeurs, en faisant ressortir la couleur de l’air sur celle des objets, en marquant les divers plans par la diversité de la lumière qui les baigne, en racontant les épisodes de cette lutte des rayons lumineux dans leur marche à travers l’espace. C’est ainsi que la science apprend à l’artiste les limites de son art et les moyens de suppléer à son impuissance.

Le peintre ne peut reproduire sur la toile les deux images prises de deux points de vue différents qui, combinés par l’esprit en une image unique, donnent la notion précise des formes et des distances ; peut-il du moins égaler la clarté que la nature répand à profusion sur les choses, disposer comme elle de la lumière et des ténèbres, faire entendre le grand silence des nuits profondes, le brait strident des jours éclatants de soleil ? Voici des chiffres et des faits. Un peintre s’est brûlé les yeux au soleil d’Afrique ; il veut raconter ce qu’il a vu, l’impression d’incendie, la sensation de marcher dans le feu, la caravane qui traverse le désert, les pieds qui entrent dans le sable comme dans un métal amolli par le feu, les burnous blancs rejetant la lumière brûlante ; un autre peintre veut dire le charme d’une nuit sereine, les formes vagues, étranges dans les ténèbres, le dessin net des objets sous la lumière brillante et froide, ce quelque chose d’un rêve où, sur le fond troublé des idées flottantes, se détache la clarté d’une image qui s’impose : pour traduire ces sensations d’intensité si lointaine, les deux peintres sont réduits aux mêmes moyens d’expression, à employer les mêmes blancs et les mêmes noirs. Or la lumière du soleil est huit cent mille fois plus intense que celle du plus beau clair de lune. Sur un tableau, le blanc le plus clair l’est quarante fois moins que le blanc directement éclairé par le soleil ; au désert, les burnous du peintre paraîtraient d’un noir grisâtre très-foncé, et les objets éclairés par la lune sont dix à vingt fois plus clairs dans le tableau que dans la réalité. La peinture, impuissante à rendre la clarté comme l’ombre, mettant la nuit dans le jour, le jour dans la nuit, semble condamnée par l’étude de la lumière ; elle est sauvée par l’étude de l’œil et des lois de la vision. Une lumière éclatante fatigue l’œil, l’affaiblit ; une obscurité relative exagère la sensibilité. Le peintre n’a pas à dire ce qui est, mais ce que nous éprouvons en présence de ce qui est ; ce n’est pas la réalité qu’il doit rendre, mais l’impression qu’elle produit. Or il agit sur un œil au repos, dont la puissance n’est ni affaiblie ni exaltée ; il peut donc avec moins de force que la nature égaler ses effets sur nous. Les lois de la vision facilitent sa tâche. L’expérience prouve que, pour des intensités de lumière très-variables, nous discernons toujours des différences de clarté d’un centième de la clarté totale. Le