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séailles. — la science et la beauté.

trop, ceux surtout plus nombreux qui feignent de trop l’aimer, à ne pas se croire tout permis dès qu’ils parlent d’elle.

Nous avons vu la méthode ; étudions l’œuvre. Les métaphysiciens sont fiers : ils construisent des théories à priori, auxquelles les faits qu’ils méprisent n’ont que le droit de se soumettre. « Les faits précèdent les théories, dit M. Véron, et nous sommes convaincu que c’est seulement en remontant aux origines et en suivant les développements des choses dans la suite des temps qu’il est possible « de s’en faire une idée juste, précise et complète. » Laissons donc la parole aux faits ; écoutons l’histoire. Dans les cavernes qu’habitaient les sauvages nos ancêtres, parmi les flèches et les couteaux de silex taillé, on retrouve des colliers, des bracelets, des anneaux de pierre et d’os : l’homme ne pensait pas encore ; il vivait à peine, et déjà le désir de la beauté le tourmentait, déjà l’effort pour la réaliser abrégeait ses heures de loisir. Auprès des armes des parures, des dessins patiemment gravés ; le goût de l’art est donc aussi naturel à l’homme que l’instinct de conservation. Pourquoi s’en étonner ? L’instinct de conservation a pour corollaire « l’instinct du mieux » : l’arbre tend les bras vers le soleil, y penche son corps tout entier. Comme la plante, comme l’animal, l’homme veut augmenter la somme de ses plaisirs, vivre mieux et davantage. Voici un premier fait, constaté par expérience : l’instinct du mieux. Pour expliquer la naissance de l’art, ajoutez un second fait : l’instinct d’imitation. Le langage et l’écriture ont été d’abord comme des copies, des dessins d’après nature, des imitations des formes et des sons (hiéroglyphes, onomatopées) : l’écriture peignait et sculptait ; la parole était une musique imitative, à laquelle se mêlait la danse du geste. Peu à peu, ces images ne suffisent plus à l’esprit. Il ne faut plus seulement représenter des objets ou des êtres, il faut exprimer des lois, des rapports. Le signe devient abstrait comme l’idée. Mais, par les progrès de l’esprit, les besoins qui ont donné naissance à ces langages figurés, à cet art primitif par lequel l’âme exprime naïvement ce qui la frappe et l’émeut, loin de disparaître se développent. Avec la science est né le langage conventionnel, abstrait comme l’idée ; l’art, c’est le langage primitif, figuré, m.ais développé, enrichi dans la proportion même où se sont variés et multipliés les sentiments de l’âme. Au langage parlé répondent la poésie, la musique et la danse ; au langage écrit, la sculpture, la peinture et l’architecture. D’après ce qui précède, il semble que l’art ne doive être que l’exacte imitation de la nature ; mais l’auteur incidemment constate un troisième instinct, auquel il accorde ensuite avec raison la première place : c’est l’instinct « qui pousse tous les êtres à exprimer leurs émotions