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par des signes extérieurs ». Dès lors, l’imitation n’est plus qu’un moyen d’amasser des matériaux, de trouver des formes et des images ; l’art est un langage, qui traduit l’âme et la rend visible en manifestant la personnalité de l’artiste. Ainsi la naissance de l’art s’explique par trois faits : l’instinct du mieux qui pousse l’homme à chercher le plaisir, l’instinct d’imitation qui l’habitue à reproduire les formes et les sons, et l’amène à se créer un langage par lequel il peut satisfaire à un troisième instinct : celui de traduire ses émotions, de rejeter hors de lui en les manifestant les sentiments qui l’agitent.

Dès le début, nous saisissons les défauts de cette méthode tout extérieure. On constate et on additionne des faits, on ne cherche pas leurs rapports, on ne se demande pas s’ils sont irréductibles, et on laisse au dernier rang l’instinct, dont on fait ensuite le vrai principe de l’art, le besoin d’exprimer son âme. Le dédain de la théorie mène ainsi à la dispersion des idées, à l’oubli de leur valeur réciproque. L’art est la manifestation de l’esprit ; qu’est-ce que donc que l’esprit ? Telle est la première question qui s’impose à vous, tant que vous n’avez pas démontré l’impossibilité de la résoudre.

Du plaisir esthétique. — L’auteur continue son énumération des faits relatifs à l’art par l’étude du plaisir esthétique. « Si l’on demandait à un ivrogne pourquoi il aime mieux deux verres de vin qu’un seul, et pour quelle raison il préfère le bon vin au mauvais ou au médiocre, il répondrait sans hésiter que deux plaisirs valent mieux qu’un, et qu’il aime le vin en raison du plaisir qu’il éprouve à le boire. » Entre le plaisir d’un ivrogne et celui d’un savant, il n’y a d’autre différence que celle des organes excités.

Le plaisir est la mise en jeu de l’activité nerveuse ; son principe est « une excitation particulière des organes, dont le jeu constitue ce qu’on appelle la puissance vitale, ce qui revient à dire que le plaisir consiste essentiellement dans un accroissement d’activité de la vie. » Plus l’existence se multiplie et s’ajoute à elle-même, plus le plaisir est intense. Dans l’art, il y a d’abord une jouissance physique qui naît de l’excitation directe des organes de l’ouïe et de la vision. Unité et variété des impressions, harmonie des sons et des couleurs, excitation vive des organes sensitifs, voilà une première source du plaisir esthétique. « Il est facile de concevoir que, plus sera considérable le nombre des fibres qui entreront simultanément en vibration, plus sera vive la sensation qui en résultera, à la condition toutefois que ces vibrations seront assez concordantes pour ne pas se combattre et se neutraliser. »