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quable que l’idée de tremblement, qui est un effet du froid et non de la commotion électrique, se retrouve aussi bien que l’idée d’engourdissement, autre effet du froid, derrière tous les noms ayant servi en Europe et en Asie à désigner les poissons électriques : d’une part, νάρϰη en grec, torpedo en latin ; de l’autre, trembleur, nom que les pêcheurs donnent sur nos côtes à la torpille ; Drillvtiss en hollandais du xviie siècle ; Zitterfisch, Zitteraal, en allemand…

Cependant on découvre d’assez bonne heure déjà, et bien avant la découverte de la bouteille de Leyde, une tendance à distinguer les effets de la secousse électrique de l’action du froid. Le mérite de cette analyse plus exacte de la sensation donnée par les poissons électriques revient peut-être aux Arabes. À ce point de vue, le passage suivant de la Cosmographie de Cazwini est curieux : « Celui qui touche le râada avec sa main, dit-il, est renversé par une commotion et un écroulement… » Ces termes, qui nous sont donnés par M. Carrière comme la traduction littérale du passage de Cazwini, rendent très-bien l’effet éprouvé. Au xviiie siècle, Kæmpfer (Amænitates exoticæ, p. 509 et suiv.) donne à son tour une très-bonne description de la secousse de la torpille : « partes nervosas ac duriores ita corripiens, ut manus, tibias, ulnas, verbo articulos majores luxari tibi putes. » Toutefois Kæmpfer se laisse entraîner lui aussi à parler du tremblement, du froid qui s’empare des gens qui touchent les torpilles, dont il compare l’action à celle d’un éclair glacé, « frigidi fulguris instar. »

En comparant la décharge des poissons électriques à la foudre, Kæmpfer ne veut faire évidemment allusion qu’à l’instantanéité du phénomène. Ce frigidum fulgur ne doit point être pris comme un premier pas fait dans la voie de l’explication vraie du phénomène offert par les poissons électriques, mais seulement comme une preuve de l’embarras où l’on était de l’expliquer, à une époque où le progrès des sciences d’observation ne permettait plus comme autrefois de confondre entièrement l’action du poisson électrique et celle du froid.

G. Pouchet.