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fouillée. — la philosophie des idées-forces

plus ouverte à autrui ou la plus pénétrable. L’intelligence du philosophe ne saurait trop s’élargir. Mais de plus, pour savoir comprendre, il faut savoir aimer. Le précepte le plus sublime de la morale doit s’appliquer aux philosophes et leur fournir la meilleure règle de critique : Aimez-vous les uns les autres. » M. Pillon, après avoir cité ces paroles, a-t-il le droit de les interpréter dans un sens tout hégélien et de les traduire ainsi : « Tout comprendre, ce serait tout estimer, tout aimer, et, d’autre part, il faut tout aimer, ne rien mépriser, ne rien exclure pour tout comprendre[1] ? » Rien n’est plus opposé à notre doctrine que cet optimisme qui divinise l’erreur et même le mal ; le livre sur la Liberté qui nous a valu les critiques de M. Pillon a tout entier pour but de montrer comment nous ne devons jamais être satisfait de l’imparfaite réalité, parce que l’idée même et le désir du meilleur sont une force capable de réaliser le meilleur, conséquemment un instrument de progrès et de délivrance. Quant à la méthode hégélienne, nous n’adoptons ni son principe fondamental ni ses procédés. Son principe est une identité de contraires que nous considérons comme une pure hypothèse métaphysique et que nous ne faisons nullement intervenir dans nos essais de synthèse[2] ; son procédé est une loi à priori de triplicité dans l’unité qui n’est pas sans analogie avec le mystère de la Trinité, mais qui n’a rien de commun avec des procédés scientifiques d’observation, d’induction, de déduction, d’analyse, de rectification, de construction méthodique. Nous essayons « non de confondre le vrai et le faux, mais d’écarter le faux sans rien abandonner du vrai[3] » Nous ne prétendons pas, comme Hegel, avoir trouvé la formule universelle et absolue, le Sésame ouvre-toi, ni l’imposer d’avance à toutes choses ; nous procédons à posteriori, et nous ne présentons la construction idéale que comme une hypothèse faite avec des éléments réels et soumise au contrôle de la réalité. La méthode de conciliation, dont la conséquence est le « libéralisme en philosophie », n’a rien de commun avec l’identité des contradictoires ni avec l’absolution de l’erreur[4].

  1. Ibid., page 333.
  2. « Loin de concilier les contradictions, avons-nous dit dans notre Histoire de la philosophie, il faut considérer la contradiction logique d’une doctrine avec elle-même comme le signe d’une erreur de déduction, et rectifier cette erreur en restituant au système la cohésion et la conséquence logique. De même, de deux principes absolument contradictoires sous le même point de vue, il faudrait bien rejeter l’un pour admettre l’autre. Mais ce qu’on peut concilier, ce sont lès points de vue différents, les degrés différents, les relations différentes des choses. » (P. xvi.)
  3. Histoire de la philosophie, Introd., xvi.
  4. Ce mot de libéralisme, employé une seconde fois par nous dans le