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Vous voulez faire la synthèse des vérités, nous demande M. Renouvier ; mais comment distinguerez-vous les parties vraies des parties fausses d’une doctrine, « puisqu’il n’y a pas de réfutation ? Pour le coup, la question est indiscrète[1] » La question n’est pas indiscrète, répondrons-nous, puisqu’elle s’adresse en définitive à une opinion qui n’est pas la nôtre ; mais elle n’en mérite pas moins l’examen. Il est certain qu’il est difficile de distinguer les parties fausses des parties vraies d’un système ; seulement la difficulté n’est pas plus grande dans notre méthode que dans les autres, et elle s’y fait selon les règles ordinaires. Nous reconnaissons le faux à deux signes : 1° Il contredit ou exprime incomplètement les faits de la conscience ou de la nature (erreur de principe). 2° Il se contredit lui-même selon les lois de la logique (erreur de conséquence). Nous avons montré plus haut comment on rectifie ces deux sortes de fausseté. Ajoutons maintenant que les méthodes habituelles, qui n’ont pas plus de facilité que la nôtre pour distinguer le faux, en ont en revanche beaucoup moins pour distinguer le vrai, ce qui est pourtant la tâche essentielle du philosophe. Nous avons vu, en effet, que la tendance des méthodes criticiste et positiviste est de confondre les limites de notre savoir et de nos classifications logiques avec les limites mêmes des choses réelles ou de leurs transformations ; elles sont donc exposées à déclarer imaginaire ce qui ne leur semble pas tout d’abord s’accorder avec leur savoir actuel, avec leurs classifications et leurs « catégories » ; moins préoccupées de concilier les vérités que d’exclure le faux, elles risquent de prendre pour le faux une vérité dont elles n’aperçoivent pas le lien avec les autres vérités précédemment admises. Voilà pourquoi nous avons dit que les réfutations purement logiques ont seulement une valeur secondaire et provisoire ; voilà pourquoi nous avons mis en suspicion ces réfutations subjectives qui déclarent impossible la coexistence de deux choses que la nature a peut-être cependant réalisée ; voilà

    même livre (La liberté et le déterminisme), a choqué M. Renouvier. « Dans le monde entier comme dans la société humaine, avions-nous dit page 287, c’est l’union par la liberté, c’est le libéralisme qui doit dominer de plus en plus. » M. Renouvier nous répond : « On pouvait bien s’attendre à voir paraître en cette occasion le fameux ἓν ϰαὶ τὰ πολλά, le mobile et l’immobile, et le dogme alexandrin de la chute et du retour divins, mais on se demande ce que vient faire là le libéralisme. » (Crit. phil., 25 sept. 1872, p. 124.) Nous nous étonnons un peu que M. Renouvier, qui a pris lui-même pour enseigne la philosophie de la Révolution française, — et c’est une enseigne excellente, — éprouve tant d’étonnement à l’idée que le libéralisme, l’union par la liberté, doit se retrouver dans la philosophie et même dans la métaphysique ; comme si les analogies de la société humaine avec l’univers, du monde moral et social avec le monde physique, étaient sans aucune valeur.

  1. Critique philosophique, 8 mai 1879, page 209.